La forêt classée du Mont Tonkpi : Un réservoir écologique

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La création d’aires protégées est aujourd’hui reconnue comme un outil fondamental pour promouvoir la protection de l’environnement en général et les écosystèmes menacés en particulier. En Côte d’Ivoire, l’ouest du pays représente un véritable sanctuaire de biodiversité qui mérite d’être protégé face à la montée des activités humaines.

Le désir de protéger la biodiversité se matérialise en Côte d’Ivoire par la mise en place d’un réseau de huit (8) parcs nationaux et six (6) réserves naturelles. L’essentiel de la diversité biologique de la Côte d’Ivoire est concentré dans ces aires protégées qui hébergent près de 90% des espèces de mammifères et d’oiseaux connues dans la région Ouest africaine et qui constituent, avec les forêts classées, la majeure partie du couvert végétal naturel subsistant sur le territoire ivoirien.

Le réseau des 14 parcs nationaux et réserves naturelles de Côte d’Ivoire s’étend sur 21 038 km², soit 6,53 % du territoire national estimé à 322 463 km². Trois, parmi, ces aires protégées figurent sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. Il s’agit du parc national de la Comoé (le plus grand d’Afrique de l’Ouest, au nord-est), du parc national de Taï (au sud-ouest) et de la réserve intégrale du Mont Nimba (à l’ouest).

La région du Tonkpi, l’une des plus vastes du pays située à l’extrême ouest dans le district des montagnes, regorge plusieurs de ces aires protégées, indispensables pour la préservation de la biodiversité. Cette région abrite un parc national, celui du mont Samgbé et la réserve naturelle intégrale du mont Nimba. Non loin de la région du Tonkpi, toujours en zone montagneuses, se trouve le parc national du mont Péko dans la région du Guémon. Par ailleurs, le Tonkpi abrite une dizaine de forêts classées dont quatre dans la commune de Man, capitale de la région du Tonkpi et du district des montagnes. Elle est située à près de 600 kilomètres d’Abidjan, la capitale politique de la Côte d’Ivoire. Seulement voilà, ces importantes ressources forestières et de biodiversité font l’objet d’agressions continuelles qui risquent de déboucher sur des conséquences irréversibles aussi bien pour la faune que la flore. Pour parer au pire, la direction régionale de la Société de développement des forêts (SODEFOR) de Man, sensibilise les populations sur l’intérêt de leur préservation.

Un réservoir écologique et de biodiversité

Située à 15 kilomètres de Man, la forêt classée du Mont Tonkpi qui couvre une superficie de 6150 km², est de loin, celle qui a le plus conservé son état primaire parmi les autres aires protégées de la région. Selon le lieutenant Soro Karnan Bakary, ingénieur des techniques des eaux et forêts, la forêt classée du Mont Tonkpi constitue aujourd’hui un réservoir écologique qui permet la régulation et la conservation de l’environnement dans la zone des montagnes.

« Cette forêt classée regorge une population de primates notamment les chimpanzés, des picatarthes de Guinée qui sont des espèces d’oiseaux rares et plusieurs espèces d’insectes dont une forte population de papillons, notamment, les lépidoptères et toute une variété d’oiseaux. Au niveau floristique nous avons toute une gamme variée d’espèces endémiques », a relevé l’officier des eaux et forêts, précédemment chargé de l’unité de gestion forestière du Mont Tia qui gère également les forêts classées de Man.

Cette réserve forestière en plus des espèces animales constitue un réservoir immense de plantes médicinales comme l’attestent plusieurs riverains natifs de la région. Pour Traoré Seydou, praticien de la médecine traditionnelle, la forêt du Tonkpi est une mine pharmaceutique à ciel ouvert. « Je ne maitrise pas trop les noms des plantes mais je sais par exemple qu’il y a l’acajou qui soigne plusieurs maladies du ventre dont les infections intestinales, les ulcères, le Badi qui soigne la fièvre jaune et le paludisme, l’émient qui est aussi efficace dans le traitement du paludisme et surtout la fièvre. A cela il faut ajouter des racines et des plantes efficaces dans le traitement de la faiblesse sexuelle que d’autres ont surnommé ‘’Bois bandé’’ », relève-t-il.

Au grand marché de Man, Dame Oulaï Suzanne, vendeuse de plantes médicinales présente quant à elle des écorces, des racines et des lianes qui soignent des maux d’yeux, les hémorroïdes et plusieurs autres pathologies. Elle indique faire le prélèvement de toutes les espèces médicinales qu’elle propose à la vente dans la zone du Mont Tonkpi.

Concernant les plantes médicinales, il est important de noter qu’au lendemain de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le ministère de l’agriculture d’alors, a créé une plantation de quinquina. Cette plante sert à la fabrication de la quinine et de l’Amodiaquine. Cette plantation atypique pour la zone forestière a permis à cette plante de se développer et d’exister encore dans la forêt classée du mont Tonkpi.

« Dans le Tonkpi, outre les espèces naturelles comme l’iroko, le Koto, le framiré, le fraké, le Kotibé et plusieurs autres espèces devenus rares dans nos forêts, nous avons aussi toute une gamme variée de plantes exotiques dont le Sapin, le thé d’Asie et la fougère arborescente, une espèce qu’on ne trouve que dans les vieilles forêts primaires », soutient le chef de zone de la société ivoirienne de télédiffusion, Ribou Zacharie dont le service est localisé au sommet du mont Tonkpi. Mr Ribou est un observateur attentif de cette forêt pour y avoir passé sa jeunesse et pour y travailler aujourd’hui. Voici 20 ans qu’il a appris à connaître les espèces locales et leur importance.

En outre, plusieurs espèces fauniques peuplent cette réserve riche de plusieurs espèces animales telle que les biches, les gazelles, des singes, des chimpanzés, des chats sauvages d’Afrique (Felis silvestris libyca) et biens d’autres. « Je peux aussi vous confirmer la présence dans cette forêt de babouins. Il y a même un qui s’est une fois battu avec mon chien, il y a quelques années de cela », a-t-il affirmé.

Dans un rapport relatif à la protection de la forêt classée du mont Tonkpi, l’entomologiste français Philippe Moretto confirme la richesse faunique de cette aire protégée et les menaces qui planent sur elle.

« Comme partout en Côte d’Ivoire, le Tonkpi est très braconné et la faune des mammifères est difficile à observer, en particulier le jour. Nous pouvons confirmer la présence de céphalophes, singes, pottos, genettes, damans des arbres, anomalures pygmés, rats de Gambie, selon nos propres observations. En revanche, selon des témoignages récents, le Chimpanzé est toujours présent mais très menacé. La faune des oiseaux est beaucoup plus présente et variée », mentionne le chercheur.

D’après lui, il semble que la panthère ait disparu assez récemment. Mais les populations riveraines croient qu’elle s’est éloignée du fait des bruits des tronçonneuses des scieurs qui opèrent clandestinement et frauduleusement dans cette forêt.

Philippe Moretto indique également que les espèces de petite taille comme les insectes sont fortement représentés dans cette réserve forestière.

« Cette superposition des faunes conduit à penser que nous sommes en présence du fragment d’un refuge forestier du pléistocène. Ce hot spot entomologique en Côte d’Ivoire mérite donc toute notre attention », a relevé M. Moretto dans son rapport, indiquant qu’au sommet du Tonkpi, existe une savane qui n’a jamais été modifiée par l’homme. « Elle est considérée comme la seule savane montagnarde de Côte d’Ivoire. Le Tonkpi à lui seul abrite deux milieux uniques dans le pays. Ce qui justifie amplement sa protection », a-t-il ajouté.

Pour Jean Olivier Dan, natif de Gouimpleu, village situé à proximité de la forêt classée du Mont Tonkpi, ses parents ont vite compris que cette forêt est une source de richesse économique, sanitaire et surtout de bien-être pour les populations riveraines.

« Avant l’indépendance de notre pays, nos parents de Gouimpleu ont découvert en cette forêt, la source de leur épanouissement. Outre les quelques animaux, notamment les rongeurs comme les agoutis, les hérissons et autres qui s’y échappent pour se retrouver dans les casseroles, cette forêt fait de notre village un paradis terrestre (…) Nous avons des aires cultivables fertiles en toute saison », confie Dan Olivier. Selon lui, c’est bien l’une des raisons pour laquelle, « ses parents ont pris toutes les dispositions pour empêcher toute infiltration de cette forêt ».

Une forêt protégée mais menacée

Les activités économiques représentent le premier danger qui menace la forêt classée du Mont Tonkpi. L’homme grignote chaque jour un peu plus de l’espace de cette forêt. Les activités agricoles poussent les populations riveraines à grappiller de précieux lopins de terre. « Les terres villageoises des basses pentes sont presque entièrement défrichées et ce n’était pas le cas il y a 20 ans en arrière », selon M. Ribou. La pression sur les parties basses de la forêt est très forte. Des villageois ont confirmé les défrichements des basses pentes pour les besoins de la riziculture. La culture du riz et autres vivriers, à faible rendement sur ces fortes pentes garnies de rochers est une réalité.

Outre les activités agricoles, l’exploitation clandestine du bois représente une menace directe pour de nombreuses espèces protégées dont des essences rares. « Nous constatons souvent une exploitation illicite de bois d’œuvre. Des bruits de tronçonneuse peuvent être entendus toutes les nuits pendant de longues heures », fait remarquer le chef de zone de la société Ivoirienne de télédiffusion, Ribou Zacharie. « Après le passage des scieurs de bois, les rémanents et les petits arbres sont vendus comme fagots pour la cuisine dans la ville de Man. Une parcelle ainsi défrichée peut ensuite rester en l’état pendant plusieurs années avant d’être réellement cultivée », soutient l’entomologiste Français Philippe Moretto.

La région de l’ouest étant une zone de forte production cacaoyère, cette forêt n’échappe pas à des tentatives d’infiltration d’opérateurs agricoles clandestins. « Nous avons détruit plusieurs fois de nouveaux verger cacaoyers dans la zone sud côté Biakalé et Gouimpleu 2 », fait remarquer le lieutenant Komara Lakika, chef de l’unité de gestion du mont Tia, en charge de la gestion de la forêt classée du mont Tonkpi.

L’autre fléau propre à la région des montages est l’exploitation des pierres. Pour les besoins de construction, certaines personnes n’hésitent pas à s’adonner au concassage des pierres à l’intérieur de cette aire protégée. Les blocs de pierres ainsi retirés des pentes contribuent à déstabiliser le sol et à favoriser l’érosion. Au passage des fortes pluies de l’ouest ivoirien, les sols sont lessivés, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’équilibre écologique. Les espèces de fleurs et d’arbustes à racines adventives se retrouvent fragilisées et peuvent être facilement emportées par les eaux de ruissellement.

En plus de l’exploitation des pierres, la forêt classée du Mont Tonkpi subit les assauts répétés des exploitants de plantes médicinales qui sévissent dans la zone. Ces derniers s’adonnent aux prélèvements des feuilles, racines et écorces des arbres, lianes et autres plantes à vertus thérapeutiques. Plusieurs personnes qui s’adonnent à cette activité illicite pensent connaître les plantes sur lesquelles ils procèdent aux différents prélèvements. En réalité, ils ignorent tout du cycle de production et de reproduction de ces plantes. « Les vendredis, jour de marché de Man, ce sont des dizaines de femmes et d’hommes qui ravitaillent le marché de plantes médicinales avec des prélèvements en provenance de la forêt classée du Mont Tonkpi », témoigne Ribou Zacharie.

« A ce stade, compte tenu de l’accélération de la déforestation des basses pentes du massif, jusqu’à l’intérieur même de la forêt classée, nous nous permettons d’insister sur l’urgence qu’il y a à protéger le Tonkpi et ses milieux uniques », préconise Philippe Moretto.

Le Directeur régional des eaux et forêts de Man, le colonel Djan Yapo Evariste reconnaît que la forêt classée du mont Tonkpi est la mieux protégée dans la région. Cependant son statut donne un droit d’usage aux populations riveraines. « En réalité la loi donne ce pouvoir aux populations riveraines de cueillir les fruits dans la forêt pour leur alimentation. Elles ont la possibilité d’aller chercher les branchages, les bois secs pour les bois de chauffe et autres, elles peuvent prélever des plantes médicinales et autres. Et cela ne constitue pas un danger pour la disparition de la forêt. Cependant dans les parcs et réserves, cela n’est pas possible », précise l’officier supérieur des eaux et forêts.

« En revanche ce qui est néfaste, c’est l’infiltration à l’effet agricole. Quand des populations vendent ou infiltrent cette forêt pour des activités agricoles, c’est un défrichage qui est fait, ce sont des abattages d’arbres, c’est l’usage du feu ou des produits chimiques pour détruire la forêt, et cela est interdit par la loi. Nous dénonçons et nous combattons formellement cela », a martelé le directeur régional des eaux et forêts.

La surveillance participative, une solution collective

Les menaces qui planent sur la forêt classée du Mont Tonkpi et sa riche biodiversité sont une réalité. C’est ce qui impose aux acteurs d’adopter de nouvelles stratégies en vue de protéger cette aire. Selon le sous-lieutenant Komara Lakika, chef de l’unité de gestion de du mont Tia en charge de la gestion du Mont Tonkpi, la SODEFOR dans un souci d’efficacité a adopté une surveillance participative impliquant les populations riveraines. « Compte tenu de notre effectif insuffisant, nous recrutons des indics dans les villages qui nous donnent des renseignements. En plus de cela, nous menons des campagnes de sensibilisation auprès des populations pour qu’elles nous donnent les vraies informations », fait-il savoir.

La surveillance participative des aires protégées est un mécanisme de surveillance et de protection impliquant les populations riveraines. Les bénéficiaires directs de la forêt deviennent les premiers maillons de la chaîne d’information concernant les agressions que subit la forêt. L’une des limites de ce mécanisme selon le sous-lieutenant Komara Lakika c’est que les indiqués ne livrent pas toujours les bonnes et vraies informations. Ce qui amène la SODEFOR à accroître les patrouilles qui sont désormais appuyées par les images de reconnaissance d’un drone.

« Pour ce qui concerne la forêt classée du mont Tonkpi, compte tenu de l’état de conservation de cette forêt et les menaces qui planent sur elle, nous renforçons les patrouilles, aux moins deux fois les deux semaines pour marquer la présence permanente de la SODEFOR. Ces patrouilles inopinées nous ont permis d’appréhender des individus qui infiltrent la forêt. Nous les avons interpellés et mis à la disposition de la justice » indique M. Komara.

Ces initiatives aux dires de l’officier de la SODEFOR ont permis d’interpeller plusieurs individus dont certains pour avoir vendu des parcelles dans la forêt classée. En 2019, trois autochtones ont été mis aux arrêts et déférés au tribunal de première instance de Man dans la zone de Lamapleu. « Cette année (2022 NDLR) nous avons déjà arrêté deux individus dans la zone de Gouimpleu et Biakalé 2 que nous avons déféré et pas plus que ce mardi 17 mai, toujours dans le cadre de nos patrouilles pédestres dans la zone sud de la forêt classée, nous avons mis aux arrêts deux autres individus en flagrant délit de défrichement que nous avons mis à la disposition du procureur de la république près le tribunal de première instance de Man. En plus des interpellations, nous avons aussi fait des saisies dont des sacs de charbon de bois, des bois sciés, notamment, des planches, des chevrons et des madriers que nous avons conduits à notre base », relate le lieutenant.

L’officier précise que les infiltrations se font avec la complicité des populations riveraines. Autres difficultés majeures dans la surveillance de cette forêt, ce sont les voix d’accès à la forêt classée du mont Tonkpi qui sont difficiles à pratiquer. Mais cela ne saurait être une entrave à la bonne surveillance de cet important massif forestier. « Notre détermination dans la protection de cette forêt ne souffre d’aucun doute. Nous avons juste besoin d’une franche collaboration des populations riveraines dont certaines se rendent complices des scieurs à façon », souligne le chef de l’unité de gestion de forêt classée du mont Tia.

Ce reportage a été réalisé avec l’appui de Eburnie Today et l’ONG IDEF dans le cadre du projet “Building the biodiversity media champion network in Côte d’Ivoire” exécuté par Earth Journalism Network et Internews Europe

Kindo Ousseny

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