Au cœur du Centre national de recherche agronomique (CNRA) de Bouaké, une transformation silencieuse mais déterminante est en marche. Portée par le Projet de Développement des Chaînes de Valeurs Vivrières (PDC2V), financé par l’État de Côte d’Ivoire et la Banque mondiale, cette dynamique vise à moderniser la production de semences, notamment dans la filière manioc, devenue stratégique pour la sécurité alimentaire nationale. Entre laboratoires nouvellement équipés, serres opérationnelles et tunnels de culture high-tech, le CNRA vit un véritable renouveau, au service de milliers de producteurs en attente de matériel végétal sain et performant. C’est ce qui ressort d’une récente visite de terrain effectué sur le terrain par une équipe du PDC2V.

Dans ces infrastructures rénovées, une technologie retient particulièrement l’attention : la culture in vitro (CIV). Le Dr Diby Konan, responsable du projet SAH (Hydroponie Semi-Autotrophe), en fait la démonstration. Sous ses mains expertes, les plantules de manioc se multiplient à une vitesse inédite. « Cette méthode nous permet d’obtenir des plantules saines, débarrassées de virus et de maladies. C’est une étape essentielle pour garantir la qualité des semences », précise-t-il, en désignant les tubes alignés dans les incubateurs. Chaque variété locale passe d’abord par une phase d’assainissement avant d’être multipliée en conditions strictement contrôlées. En moins de trois semaines, racines, tiges et feuilles se développent : une prouesse scientifique qui raccourcit considérablement le cycle de production.
Cette accélération est confirmée sur le terrain par le Dr Essis Brice, chercheur au CNRA, qui supervise les champs semenciers. Pour lui, la performance de la technique repose aussi sur la qualité du substrat, désormais produit localement. « Les boutures sont désinfectées, incubées, puis repiquées dans un mélange organique carbonisé et de fiente de volaille. Cela favorise les micro-organismes bénéfiques et donne aux plants une vigueur exceptionnelle », explique-t-il. Résultat : des plantules viables en trois semaines, contre six mois avec la méthode classique. Grâce au système SAH, une seule plantule peut générer jusqu’à 50 nouvelles par an, là où elle n’en produisait que 10 à 15 auparavant. Le CNRA revendique aujourd’hui une capacité de production équivalente à cinq hectares de plantules par jour, un niveau encore inédit dans le pays.

Après avoir été introduite avec succès sur l’igname il y a cinq ans, la technique SAH s’applique désormais au manioc, avec des résultats tout aussi prometteurs. Autre avancée majeure : l’autonomie croissante du centre. Les substrats, autrefois importés du Kenya ou du Nigeria, sont désormais fabriqués sur place, réduisant les coûts et renforçant la maîtrise technique. Une étape décisive dans la professionnalisation de la filière semencière.
Conscients de certaines appréhensions dans l’opinion, les chercheurs tiennent toutefois à préciser que les plants issus de cette technologie ne sont pas des organismes génétiquement modifiés. « Ce que nous faisons ici, c’est du bouturage assisté en laboratoire. Les plantes sont naturelles, simplement assainies et multipliées plus rapidement », insiste le Dr Diby Konan. Il rappelle également que la législation ivoirienne interdit formellement la production d’OGM sur le territoire.
Sur le terrain, les premiers tests à grande échelle menés avec des producteurs pilotes s’avèrent concluants. Certaines variétés, notamment Bocou 5, arrivent à maturité dès 10 à 11 mois, contre 12 habituellement, sans aucune perte de rendement. Ces performances ouvrent de nouvelles perspectives pour le vivrier ivoirien, avec des semences certifiées, saines et plus productives. Pour les planteurs, c’est la promesse d’une amélioration des revenus et d’une réduction des risques liés aux maladies virales du manioc.

À travers cet appui structurant au CNRA de Bouaké, le PDC2V — coordonné par le Ministère d’État, Ministère de l’Agriculture, du Développement rural et des Productions vivrières — confirme la stratégie nationale de renforcement de la souveraineté alimentaire. Avec la Banque mondiale comme principal partenaire financier, le gouvernement entend bâtir une agriculture moderne, durable et résiliente, capable de répondre aux défis climatiques et aux exigences des marchés.
Pour le CNRA, cette modernisation marque une nouvelle étape dans son engagement auprès des producteurs ivoiriens. Entre innovations scientifiques, infrastructures adaptées et savoir-faire local renforcé, la filière manioc se dote enfin des outils nécessaires pour devenir l’un des moteurs de la sécurité alimentaire nationale. Une révolution semencière est en marche à Bouaké — et elle n’en est qu’à ses débuts.
Kindo Ousseny
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