Témoignage d’un immigrant clandestin rescapé de Man

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Interview Diomandé Mamadou dit Américain.

« Ceux qui meurent en chemin sont plus nombreux que ceux qui survivent »

Dans cet entretien, Diomandé Mamadou, ex immigrant clandestin raconte ses mésaventures et invite les jeunes à s’abstenir du voyage sans issus vers l’Europe en passant par les pays maghrébins.

 

Vous avez tenté une aventure en 2014 vers l’Europe et vous êtes revenu. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Je me suis fait gruger au niveau de Bamako et au Maroc. En effet j’étais dans le milieu des affaires. Je faisais du commerce électroménager et du transport. Et en vérité je me suffisais. Mais étant donné que certains de nos camarades sont allés en Europe et ont mieux réussi, j’ai voulu tenter l’aventure avec l’aide de certains amis. J’ai suivi toutes les procédures qu’il fallait. Je me suis fait établir un passeport et un visa pour l’Allemagne. C’est après ça que je me suis rendu à Bamako. Là-bas, j’ai senti une certaines bonne fois de mes amis. Les démarcheurs m’ont confié à des gendarmes maliens. Ce sont eux qui m’ont conduit à l’aéroport et j’ai suivi tout le parcours nécessaire avec eux jusqu’à l’avion. Et les soldats m’ont dit que tant que l’avion n’est pas arrivé à Hambourg, de ne pas descendre. Un protocole que j’ai  respecté à la lettre. Mes difficultés ont commencé juste après l’atterrissage de l’avion à l’aéroport de Hambourg. Au poste de contrôle, je suis mis aux arrêts pour défaut de visa. Chose que je ne comprends pas. Six policiers ont contrôlé mes papiers. Ils ont tous dit que mon passeport est bon, mais c’est le visa qui est trafiqué. Ils m’ont même montré la différence entre un vrai passeport et un faux.   Les policiers m’ont mis au violon pendant 3 jours avant de me rapatrier dans un avion qui selon eux devait me déposer à Abidjan, étant donné que  je suis ivoirien. Mais malheureusement, C’est au Niger que l’avion m’a laissé. Je me suis débrouillé pour regagner Abidjan. Et pour ce premier voyage j’ai dépensé près de quatre millions. L’orgueil aidant, je n’ai pas voulu retourner à Man parce que j’ai vendu mes deux véhicules de transport, mon magasin. Si je retourne sur Man ce sera la honte pour moi parce qu’il fallait tout reprendre à zéro.

Mais nous avons appris que vous avez tenté l’aventure à deux reprises. Racontez-nous votre seconde mésaventure.

Cette fois, comme je disais que je ne voulais plus retourner à Man, il s’est trouvé un de mes amis qui m’a fait savoir qu’il a un frère qui peut me faire partir en Europe en passant par le Maroc où nous devions emprunter un bateau pour l’Espagne à seulement 400 milles francs. Et de là nous pouvons atteindre l’Allemagne.

Et que s’est-il passé par la suite ?

La Côte d’Ivoire étant un pays bien respecté à l’extérieur, les gens ont fait beaucoup de papiers faisant d’eux des Ivoiriens. Nous sommes donc assez nombreux à partir.

Alors là vous avez fait du faux si je comprends bien, des non ivoiriens ayant des papiers d’ivoiriens. Comment ça se passe ?

Mais c’est tout un réseau de faussaires essentiellement composé de Malien. Ils ont des correspondants partout. Même en Côte d’Ivoire. Mais retenez que moi j’avais des papiers authentiques.

Ont-ils des représentants à Man ?

Le seul qui était ici s’appelait Monsieur Oumar. Mais il a aménagé à Daloa parce que selon lui les affaires ne marchent pas bien ici. Il n’y pas trop de candidats à l’immigration.

Comment êtes-vous partis ?

J’ai pu me faire établir un visa de 80 jours de validité pour le Maroc. Nous sommes allés en avion et c’est à l’aéroport Mohamed 5 de Casablanca que nos difficultés ont encore repris.  La police de l’immigration du Maroc nous a pris et là j’ai payé 50 euros et ils m’ont permis de poursuivre mon périple. Et ces arabes-là sont très mauvais. Si tu ne payes pas ils te rapatrient dans l’immédiat avec un passage en prison.  Nous avons été conduits dans un grand bâtiment R+2 qu’ils appellent foyer.

Dans ce lieu chaque immigrant doit leur verser les sommes variant de 400 à 800 milles francs. Et les prix varient à la tête des clients. Quand tu te joues les timides tu payes plus cher. Une fois tu leur donne l’argent, tu deviens leur esclave. Les femmes qui sont parmi nous son enlevé parfois pour aller leur faire subir des viols et de abus sexuel de toutes sortes. Dans ce grand immeuble où sont amassés plus de 1000 immigrants il y a une seule toilette. L’endroit est très sale avec des insectes appelés « Kranga » qui vous piquent. Une fois vous payer l’argent, les passeurs qui sont surplace récupèrent vos passeports et c’est le début d’un autre calvaire. Vous êtes systématiquement fouillés de fond en comble par ces individus, qui vous mettent à poil. Si tu n’as pas bien caché ton argent, ils te prennent tout et tu deviens leur esclave.

Combien de temps avez-vous passé dans cet endroit appelé foyer ?

Nous  avons passé deux nuits, dans cette maison qui était comme un enfer pour nous. Avant d’aller à un autre endroit qu’on appelle tranquillo. C’est dans la deuxième nuit qu’ils sont venus avec un gros camion remorque pour nous chercher. Nous sommes traités comme un troupeau de bœufs. Pour monter nous sommes guidés comme des animaux et les passeurs en proie à la drogue avaient des machettes à bout pointues. Ils sont sans sentiment et n’hésitent pas à vous piquer. Là on nous avait dit qu’il fallait payer la somme de 400 000 francs comme titre de transport pour aller en Espagne en bateau. Dans le gros camion, nous sommes installés en quatre rangers. Les uns assis après les autres les jambes écartées. Nous sommes partis à 2heures du matin. Le camion a roulé toute la nuit et toute la journée. On m’avait même proposé Lampedusa où l’on monte sur des grilles pour traverser la frontière. J’ai refusé cela en optant pour une voie normale.  Or là encore je suis allé m’abonner à la souffrance.

Et le gros camion est arrivé avec vous au niveau du bateau ?

Non, vers 6 heures du matin nous avons même contourné la ville de Fez pour aller nous retrouver quelques part dans le désert.  On nous fait descendre et on nous dit qu’il y a des véhicules de type 4×4 qui doivent venir nous cherchez pour aller au bord de la mer. Nous étions plus de 250 personnes dans le gros camion. Là encore, nous attendons jusqu’à le lendemain à 16 et pas de véhicule. Nous appelons nos passeur à Casablanca, et là on nous dit qu’ils se sont trompés et qu’il fallait qu’on retourne sur Casablanca, or nous étions à plus de 1000 kilomètres. Nous nous sommes mis à marcher jusqu’à Fez, c’est là que nous avons emprunté le train pour retourner à Casablanca.

Pendant ce temps vous aviez de l’argent ?

Oui à ce niveau j’ai pris toutes mes précautions pour bien cacher mon argent. Sinon si les passeurs étaient au courant ils m’auraient tout arraché. Souvent nous ouvrons les ceintures de nos pantalons jeans, les semelles des chaussures et dans bien autres endroits pour mieux sécuriser notre argent.

Que s’est-il passé une fois à Casablanca ?

Arrivée là-bas j’ai menacé les passeurs d’aller me plaindre à l’ambassade de Côte d’Ivoire. Etant donné qu’ils savent qu’ils travaillent dans l’illégalité, ils m’ont restitué mon passeport.

De-là, avez-vous poursuivi votre voyage ?

J’ai tenté avant d’abandonner

Et comment ?

Nous sommes en Afrique. A Casablanca, j’ai fait la connaissance d’un jeune malien, qui m’a conduit chez un marabout arabe à qui j’ai expliqué ma mésaventure. C’est ce dernier qui m’a conseillé de rebrousser chemin. De ne pas tenter l’aventure sur l’eau au risque de perdre ma vie. En plus il m’a demandé de retourner travailler dans mon pays et que de là-bas je pourrai avoir les moyens pour aller en Europe comme si je partais au champ.

Mais malgré cela, j’ai essayé. Une fois arrivé au bord, j’ai découvert  un faux bateau artisanal fabriqué devant nous par des passeurs avec du bois qu’ils ont acheté chez nous en Côte d’Ivoire. Ce sont des planches de chez nous avec du bois blancs. Et je suis convaincu que ce bois se décompose 24 heures après sur l’eau. C’est quand j’ai vu le bateau de fortune qui en fait est une grosse pirogue avec un moteur artisanal que je me suis rappelé des conseils du vieux marabout. Et l’état du bateau m’a fait reculer. J’avais un compagnon de route du nom de Moussa, qui a insisté pour qu’on parte ensemble et j’ai refusé. Trois jours après, j’apprends que le bateau en question a chaviré sur l’eau et tous les occupants pas moins de 250 personnes sont morte noyées, y compris mon ami. Moussa. (Il fond en larme). C’est ainsi qu’après réflexion, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis retourné au pays.

Aujourd’hui l’actualité c’est la traite des personnes en Lybie où des noirs sont vendus comme de la marchandise. Est-ce que cela était prévisible ?

Bien sûr que c’était prévisible. Quand tu arrives chez quelqu’un qu’il t’arrache tous tes papiers, ton passeport, ton visa et ta pièce d’identité, mais tu deviens un esclave ! Et c’est ce qui se passait depuis lors. Seuls les plus chanceux s’en sortaient. La situation était certes pénible mais pas aussi exagérée où les noirs sont sauvagement vendus, torturés et tués. Avant c’était des prise d‘otages où on rançonnait les parents des victimes. Quand les passeurs vous convoient et qu’il y a une panne de camion vous êtes laissés pour compte. Au cas où vous tombez entre les mains des forces de l’ordre vous êtes livrés à vous-même. J’ai des amis qui ont tenté l’aventure par le Sahara. Aux dernières nouvelles, j’ai appris que plus de 300 personnes qu’ils étaient, aucun n’a survécu dans le désert.

 

Est-ce que le phénomène se passe seulement en Lybie ?

Mais non ! L’histoire que je vous raconte se déroule au Maroc.  Le même phénomène se déroule aussi en Tunisie et c’est seulement du cas Libyen que les gens parlent. Pour ce qui est de l’Algérie, je n’ai pas d’information. Il y a un groupe de jeune de Man qui est parti. Eux ils sont actuellement en prison. Selon l’un d’entre eux qui a pu joindre ses parents, ils sont environ 700 personnes en prison. Par jour c’est un petit morceau de pain qu’on leur donne avec de l’eau salé en Lybie. J’ai même mon neveu, Diomandé Shaka le fils de mon grand frère qui est entre les mains des esclavagistes en Lybie. Au moment où il voulait partir j’ai tout fait pour le dissuader en vain. Arrivé en Lybie, sous l’effet de la torture, il nous a appelés pour le secourir. Nous avons envoyé la somme de 700 000 mais jusque-là, nous sommes sans nouvelle de lui. Malgré l’argent que nous avons envoyé aux ravisseurs. Alors qu’au moment où il quittait Man pour la Lybie il avait plus de 1,5 millions de franc. Nous sommes sans nouvelle de lui. On ne sait pas s’il est vivant ou mort.

Mais qu’en est-il du sort de ceux qui arrivent à traverser l’eau ?

Là encore le danger est omniprésent. Les pilotes de bateau quand ils arrivent à 100 où 200 mètres des côtes ils font renverser les bateaux et chacun de débrouille. C’est pourquoi beaucoup meurent sur les côtes italiennes et espagnoles. Ceux aussi qui arrivent à traverser sont souvent accueillis par des garde-côtes italiens ou espagnols qui leur tirent dessus. Il y a un autre endroit qu’on appelle Simita. Là-bas, quand les immigrants traversent l’eau ils sont emmenés à grimper sur un mur en grillage vous montez et ils vous tirent dessus. Ce que les gens nous montrent à la télévision n’est que la face visible de l’Iceberg. Cela n’est rien face à la réalité du terrain.

A man connaissez-vous des familles ou des enfants ont connu une aventure fructueuse ?

Oui, mais pas par le désert mais par la voie normale c’est-à-dire par avion. Par contre j’en connais où les enfants sont allés et ce sont les nouvelles de leur décès en mer qui sont parvenues à leurs familles. Moussa Sanogo,  Le fils de l’imam Sekou Sanogo de la mosquée de Libreville a tenté l’aventure cette année en traitant avec les passeurs de Daloa, il était couturier et il s’en sortait bien et des gens sont venus le blaguer et il a pris l’itinéraire. En traversant l’eau il a vomi tout le long  du parcours en mer. Au moment où les gens voulaient les sauver, il était déjà agonisant, sa main a glissé et il est tombé dans l’eau. Il est mort noyé. Ces deux dernières années, c’est plus d’une dizaine de famille qui ont perdu leurs enfants surtout au quartier Kénédy, c’est au moins sept familles sont endeuillées. La veille de la fête de Ramadan, une femme est venue nous partager du pain sous prétexte que son fils est parti à l’aventure derrière l’eau,  elle est sans nouvelle de lui et en plus elle a un mauvais pressentiment. Aux dernières nouvelles nous apprenons que l’enfant est resté dans l’eau.

Au regard de ce que vous avez vécu, quel conseil pouvez-vous donner aux jeunes qui sont tentés par cette aventure ?

Je commence par mes ennemis. Je leur dit, de ne jamais tenter une aventure par la voie maritime du sahel pour aller en Europe. C’est un véritable enfer sur terre. Où opère un puissant réseau de trafic d’être humain. Moi, j’ai eu la chance en jouant les durs et en faisant preuve de courage. Quand je prends du recul, je me rends compte que j’ai commis une grosse bêtise humaine. Ces passeurs que j’ai eus à menacer pour avoir mes papiers auraient pu me tuer.  Comme il l’on fait avec certains candidats à l’immigration. Je suis convaincu d’une chose: ceux qui meurent en chemin dans cette aventure sont plus nombreux que ceux qui survivent. Je voudrais dire aux jeunes africains et plus particulièrement aux jeunes ivoiriens que la galère chez soi est mieux que les tortures et la mort chez les maghrébins. Chez nous est mieux que chez les gens. C’est par expérience que je le dis.

Pour ce qui me concerne, j’ai vendu mes deux véhicules de transport et en fin de compte j’ai tout perdu. Je suis venu tout reprendre à zéro et je ne souhaite pas ce que j’ai vécu à mon pire ennemi. Nul n’est mieux que chez soi et moi aujourd’hui j’ai bien compris la leçon. J’ai un ami que j’ai laissé ici mais aujourd’hui il est intouchable. J’ai pris mon courage à deux mains, pour demander pardon à mes proches avant de reprendre ma vie ici à Man.

 

Entretien réalisé par Kindo Ousseny à Man.

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