Reportage Biankouma/Après les récentes atrocités : Kabakouma manifeste sa colère devant Mabri Toikeusse

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Les atrocités commises  à Kabakouma les 24 et 25 février dernier, continue d’être source de vive tension. Le chef de l’Etat  a dépêché le ministre Abdalah Albert Toikeusse Mabri sur les lieux pour traduire son soutien aux victimes et leurs parents et tenter de ramener la paix. Il fera face à une forte colère de la population qui ne veut plus voir certains étrangers sur son sol.

Vendredi 28 février, il est 9h30 lorsque nous faisons notre entrée sur Kabakouma après avoir parcouru les 9 kilomètres de piste poussiéreuse qui sépare Biankouma à Ce village. Devant nous, un pick-up de l’armée de terre. Surement un détachement du bataillon de sécurisation de l’ouest que nous avons eu du mal à dépasser à cause de la poussière étouffante.

L’entrée du village, des éléments de la police, de la gendarmerie et des forces armées de Côte d’Ivoire ont pris position dans la cours de l’école primaire 1. C’est là qu’ils ont établi leur quartier général avec leurs véhicules de transport de troupe. Le pick-up qui transporte un détachement des éléments de l’armée de terre les ont rejoints sur le même site. Nous poursuivons notre chemin jusqu’à la place publique où sont dressées des bâches pour attendre l’hôte du jour.

 Sous l’une des bâches, la chefferie traditionnelle du département de Biankouma. A ses côtés le chef du village de Kabakouma et ses notables. Tous ont le visage grave. Aucun sourire sur les lèvres. Signe de l’expression du grand mécontentement de l’ensemble des populations.

En attendant l’arrivée de la délégation ministérielle, nous nous rendons dans le village pour vérifier des rumeurs de destruction de biens des allogènes ayant fui le village.  Une petite balade qui nous a permis de comprendre à quel point la haine pour l’étranger a pris une ascension. « Un étranger a tué nos papas à cause de champ. C’est pourquoi nous avons chassé tous les étrangers de notre village. Nous ne voulons plus d’eux ici à Kabakouma », a déclaré un jeune se nommant Sigui, avec rage, dans un ton belliqueux. Il poursuit, « nous avons détruit quelques maisons comme celle que vous voyez-la ».

Là c’est une maison complètement dévorée par les flammes qu’il nous montre. Ensuite il nous conduit dans le village pour nous faire découvrir trois autres concessions de fortune pillées et saccagée saccagées. En chemin nous croisons des éléments des forces de défense et de sécurité par groupe de 4 ou 5 en patrouille pédestre.  A trois mètres d’un des bâtiments saccagés traine l’épave d’une moto calcinée. « C’est pour un étranger », précise-t-il. Un confrère de la cellule communication du ministre de l’enseignement supérieur Albert Toikeuse Mabri qui était en notre compagnie reçoit un coup de fil annonçant l’arrivée imminente de l’hôte du jour. Nous retournons sur la place publique.

Le disque jocker met une musique de DJ. Et monte le volume. Il est vite ramené à l’ordre par un membre de la notabilité du village. « Toi-là, baisse ton volume ou bien tu arrêtes cette musique. Ici nous ne sommes pas en fête », interpelle-t-il. Vite fait, la musique est arrêtée et le maître de cérémonie prend le micro. Dès l’entame de son intervention, il annonce les couleurs. « Kabakouma a accueilli, adopté et intégré  un burkinabé du nom de Djékité Palé, qui a fini par assassiner ceux qui lui ont donné gite et couvert » dit-il.

C’est en ce moment que le ministre Mabri Toikeusse, fils adoptif et héritier politique de feu le général Guéi fait son entrée. Après les salutations d’usage. Il s’installe. Le porte-parole du chef du village prend alors le micro et demande les nouvelles. Autorisation est donc donnée au tout nouveau préfet du département de Biankouma, Hamiltone N’guessan N’dri Michel pour situer le contexte de la rencontre et rappeler les faits qui font l’objet de ladite cérémonie. Selon lui, c’est dans la nuit du lundi 24 au mardi 25 qu’il a été informé de ce qui se passe à Kabakouma où un premier mort était à déplorer. Vite il a instruit le commissaire de police et le commandant de la brigade de gendarmerie afin qu’ils interviennent pour éviter le chaos. Sur ses instructions les blessés au nombre de trois ont été évacués à l’hôpital général de Biankouma avant d’être transférés au Centre hospitalier régional de Man.

Mais malheureusement, l’un des blessés va succomber après avoir perdu trop de sang.

« Pour le volet sécuritaire, suite à des rumeurs persistantes d’une attaque des étrangers contre le villages, nous avons déployés 82 éléments de la police, de la gendarmerie et des Faci. Et depuis lors le village est sous surveillance, mais les populations ont encore peur d’aller au champ dans la crainte des représailles », a relevé l’administrateur civile. Selon lui, le bilan fait état de deux blessés évacués ce vendredi au CHU d’Angré par les soins du ministre Mabri sur instruction du chef de l’Etat, deux morts dans le village et le présumé assassin a été retrouvé pendu. Ce qui fait passer le nombre de morts à trois.

82 déplacés au commissariat de Biankouma

« Cette situation a causé des déplacés au nombre de 82 au commissariat de police de Biankouma. Dont 55 baoulés, 16 mossis et 09 lobis. Nous avons aussi été informés qu’au niveau du quartier lobi de Santa, plusieurs déplacés de cette ethnie y ont trouvé refuge », a renseigné le préfet de Biankouma. 

Il a par ailleurs indiqué que si rien n’est fait, la faim pourrait s’installer dans le village parce que depuis les évènements personne ne veut prendre le risque d’aller au champ. C’est pourquoi, il a mis sur pied un, comité de crise qu’il préside lui-même et composé du sous-préfet, des élus locaux de la chefferie traditionnelle, des chefs de communauté, des présidents de jeunes et de femmes de Kabakouma. Ce comité doit travailler au retour à la normalité dans le village.

Le maître de cérémonie annonce les chefs de communauté à commencer par le délégué du conseil supérieur des burkinabés de l’étranger, (CSBE) pour la région du Tonkpi, Zié Jean-Marie. Lui-même ayant été l’un des premiers enseignants du villages de Kabakouma, et maître d’école de plusieurs cadres et la plus part des notables du village n’a pas eu du mal à tenir un langage d’apaisement, tout en condamnant « l’acte barbare qui a conduit à la mort de 2 personnes et deux blessés graves », aussi a-t-il présenté ses condoléances et celles de l’ensemble de la communauté Burkinabé de la région aux famille endeuillées.

Toé Saydou a failli tout gâter

Aussi a-t-il demandé pardon pour l’incident causé par l’un de ses compatriotes. Il a ensuite plaidé pour le maintien de la cohésion sociale dans le village. Il cède le micro au délégué consulaire de Biankouma, Tohé Saydou.

D’entrée l’homme fait savoir qu’il n’est pas un habitué des prises de parole en public. Mais en moins de deux minutes d’intervention, ses propos ont vite irrité plus d’un. Le  délégué du Csbe était obligé de lui retirer le micro. Les populations ayant commencé à murmurer leur colère ouvertement.

Le chef des Baoulé Nanan N’go Jacques dont les membres de la communauté se trouve parmi les déplacé à Biankouma a tenu un discours de pardon. La communauté Lobi dont l’un des membres a commis le carnage n’a pas daigné se présenter à Kabakouma par crainte pour sa sécurité.

A cette cérémonie, c’est le doyen Wohi Magnéré prend la parole au nom du village. Là, il ne va pas passer par quatre chemins pour exprimer sa colère et celle de l’ensemble du village.

« Président Mabri, tout ce que vous avez appris par la presse, par les médias, c’est vrai. Votre village Kabakouma est victime de l’hospitalité légendaire du peuple Dan. Le vivre ensemble, la main tendue, la cohésion sociale prônés par le président Alassane Ouattara a eu un impact négatif sur nous à Kabakouma. Mais Mabri regardez ce que l’autre Burkinabés vient dire, « on les a calmé ». Ah bon ! Qu’ils viennent ! Mabri, mes parents me chargent de vous dire, que le fait de donner la terre à des gens qui sont venus chez nous ici pour trouver à manger, si c’est qui est anormale pour qu’on nous tue, Mabri, nous disons que nous ne voulons plus de ces gens-là chez nous ici », a-t-il martelé sous un tonnerre d’applaussement.

Et de poursuivre, « il y a beaucoup de communautés ici. Il y a des Akans, des peulhs, des mahous, nous sommes ici ensemble. Mais quand quelqu’un à qui on a donné gite et couverts nous prend pour du bétail et nous tue, nous ne pouvons plus accepter cela. Président Mabri, nous allons vous écouter. Mais vos parents qui sont là, ils disent qu’ils ne veulent plus de mossi, ils ne veulent plus de Lobi, parce  que quand un Lobi vient ici, il se fait passer pour un senoufo or il y a alliance entre nous et pour finir ce sont eux qui nous tuent. On ne veut plus d’eux, ainsi que les Dagaris. Ces trois ethnies on ne veut plus d’eux à Kabakouma. Ici nos parents nous ont appris à respecter la vie humaine. Ce qui n’est pas le cas avec ceux-là. Pour un oui ou pour un non, ils ne connaissent pas ce qu’on appelle l’administration. A Gandié, ils ont brûlé le village, ils sont allé jusqu’à brûler le drapeau national. A Dio, ils ont tué. C’est leur travail. Comme eux ils savent faire justice, nous ici nous n’avons pas de hache de guerre ici. On ne veut plus d’eux », a-t-il insisté.

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