Sikensi/ Décès de Kodjo Miezan Michel : Les anciens du lycée municipal pleurent un éducateur exceptionnel

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L’homme a marqué durant ses trente ans de carrière plusieurs générations du lycée municipal de Sikensi et du lycée moderne de Bonoua. Le 4 avril 2022, Kodjo Miezan Michel, c’est de lui il s’agit, a rangé définitivement ses stylos à l’âge de 62 ans. Laissant derrière lui des anciens élèves, collègues et enseignants sans voix et dans le désarroi. L’homme s’est illustré par son travail acharné et sa parfaite maîtrise des noms des élèves qui s’inscrivent auprès de lui.

Le lundi 4 avril va marquer à jamais les esprits des anciens du Lycée municipal de Sikensi. Des anciens élèves aux professeurs en passant par le personnel d’encadrement, tous sont dans la consternation en ce moment.

Et pour cause. Kodjo Miezan Michel, premier éducateur du Lycée municipal de Sikensi et récemment éducateur au lycée moderne de Bonoua qui a fait valoir ses droits à la retraite a été rappelé à Dieu. Une disparition qui crée l’émoi chez plus d’un. Et cela parce que l’homme a marqué les esprits et son temps.

« Cet homme s’est donné pour mission de continuer l’éducation débutée par nos parents et le faisait avec maestria. À tort ou à raison, il est parfois traité de dur, de méchant, la plupart des élèves le craignaient, dans mes souvenirs je le vois toujours avec son sourire mesquin, celui d’avant la punition. Monsieur MIEZAN, ne m’a jamais puni pourtant, peut-être parce que besoin il n’y avait pas, bien au contraire, il ne manquait jamais d’occasion de me faire un compliment, il me disait tout le temps que j’étais intelligente et m’invitait à continuer sur cette voie », se souvient Danielle Stella Kakou une ancienne élève du lycée moderne de Bonoua.

Kodjo Miézan Michel était un homme d’exception. De 1988 à 1998, l’homme a retenu les noms de tous les élèves qui se sont inscrits dans son bureau au lycée municipal. Il était très physionomiste. « Lorsque je suis arrivé pour la première fois au collège municipal, et après avoir rempli les formalités pour mon inscription, je me suis dit que je ne suis pas connu à l’administration. Trois jours après, alors que nous allions à l’administration pour retirer nos courriers, il y avait une longue file d’attente. Je me suis permis de marcher sur la pelouse. Et, à ma grande surprise, j’entends une voix imposante qui me crie dessus, “N’guessan Jean-Marie Hardin Graud sort de ma pelouse et vite “. Et j’étais très surpris. Depuis ce jour,  le sentiment qui m’anime vis-à-vis de cet homme, c’est le respect, la crainte et la peur », se rappelle Jean-Marie Harding, un ancien élève du lycée municipal de Sikensi. Tout comme lui, ce sont des dizaines d’élèves qui ont rencontré Miezan Michel plus de 20 ans après, et l’homme reste toujours égal à lui, physionomiste, un peu comique et charismatique.

En 2016, des rumeurs, faisant état de son décès, ont circulé. Les anciens du lycée qui ont réussi à le localiser au lycée moderne de Bonoua  ont dépêché une d’entre eux, Germaine Nabi pour vérifier l’information. « Lorsque je l’ai retrouvé dans son bureau, il m’a immédiatement reconnu alors que je n’ai fait que deux ans dans son établissement.  À ma grande surprise, il me demande de ne pas lui dire mon nom. Après quelque secondes de cogitation, il prononce mon nom. C’est là que mon admiration pour l’homme s’est accru », témoigne-t-elle. C’est d’ailleurs Germaine Nabi qui a informé l’ex éducateur du lycée municipal de Sikensi de ce que les anciens élèves sont en train de se préparer pour créer une amicale qui sera pour eux un cadre de retrouvailles et de solidarité. C’est ainsi qu’il a pris le devant des choses pour la mise sur pied de cette amicale dont il a été le président d’honneur jusqu’à la fin de ses jours.

En même temps que tout le monde avait peur de lui, il est l’éducateur le plus aimé du lycée. « Il savait imposer le respect. Mais derrière la rigueur, la discipline et le travail qu’il incarne, il était très sociable et aidait beaucoup les élèves en difficulté. Il incarnait le grand frère, le père, l’ami, le confident que chacun aurait bien voulu avoir », fait remarquer Jean Marie Harding aujourd’hui pasteur de son état.

« Tu te rends compte que j’avais une tutrice mais toujours absente et c’était difficile. Donc je partais étudier avec ses frères à la maison et je mangeais avec eux. Il me disait à chaque fois que j’avais honte de faire fi de ça et de venir chaque fois quand le besoin se fait sentir. Vraiment, il était comme mon deuxième tuteur en classe de 5eme. Même quand je suis tombée enceinte et que le proviseur n’a pas voulu que je parte à l’école. Il était là pour moi. Franchement, il fut un grand soutien pour moi pendant tout mon cursus car j’ai repris la 3eme à cause de la grossesse, il était là pour prendre de mes nouvelles et voir si je m’en sortais jusqu’à ce qu’à mon admission au BEPC et mon orientation en classe de seconde à Dabou. Tellement j’ai aimé sa manière de faire, j’ai voulu faire comme lui, et je suis devenu éducateur», témoigne Chy Françoise, ancienne élève du Lycée municipal de Sikensi et désormais inspecteur d’orientation en formation.

Kodjo Miezan Michel était aussi doué pour aider les élèves dans leurs choix d’orientation, et le cas de Badji Cissé est assez édifiant. « Nous sommes en année scolaire 1996-1997, et je suis en troisième (3ème). Comme tous mes camarades je souhaite faire une filière scientifique après l’obtention de mon BEPC. Je choisis donc de faire une série C. La rentrée suivante je suis surpris d’apprendre que je suis plutôt orienté en série littéraire, donc en seconde A. L’orientation n’étant pas mon choix, je décide de rencontrer Mr Miezan. Il me reçoit et m’informe qu’un conseil a eu lieu et que c’est lui qui a demandé à ce qu’on me mette en seconde A, contre mon gré. J’essaie de le convaincre pour une demande de réaffectation. Malheur pour moi, j’attise sa colère et il me crie dessus. ”Badji Cissé, hors de mon bureau, espèce de forgeron”. Imaginez la vitesse avec laquelle je sors de son bureau », témoigne cet ancien élève de Miezan, aujourd’hui professeur d’anglais.

Mais Badji Cissé ne s’estime pas vaincu. « Je décide de rencontrer mon professeur de physique chimie pour une médiation. Il accepte de faire la médiation parce que je suis un de ses meilleurs élèves en classe de Troisième (3ème). Quelque temps après, je passe au domicile du Prof de Physique chimie et il m’informe qu’en fait, il y a 3 classes de seconde C avec un effectif d’une soixantaine d’élèves  formés. Mais en seconde A, tout juste une dizaine d’élèves étaient partant pour cette classe. Il fallait donc piocher obligatoirement certains élèves polyvalents pour compléter la liste de seconde A, et j’en fais partie », ajoute-t-il.

Poursuivant son témoignage, il souligne que même son professeur de physique n’a pas pu convaincre monsieur Miezan de changer d’avis. « J’accepte finalement de rester en seconde A. Chez nous on dit que lorsque Dieu est en train d’arranger les choses, tu peux penser qu’Il est en train de tout gâter. Cette année-là, et contre toutes attentes, je suis premier de classe et je deviens boursier. En fin d’année scolaire, pensant que Mr Miezan avait complètement oublié mon histoire, il m’interpelle dans la cour de l’école. “Toi Badji là, tu es passé me dire Merci ?”. Sur le champ je ne comprends rien. ”Tu as pris ta bourse non. Tu penses que si tu faisais la seconde C, tu allais avoir ça?”. Vous ne pouvez pas imaginer la honte qui m’habitait à cet instant précis. Mais comment avait-il fait pour se rappeler l’histoire de l’orientation? Comment avait il fait pour mémoriser mon nom ? Je n’en revenais pas. Et il poursuit pour me dire. ”Tu es premier non ? Tu es content non ? Espèce de forgeron là, disparaît de ma vue !”. C’est cette première place obtenue en seconde qui m’a donné confiance en moi même jusqu’en Terminale. J’obtiens mon Bac et je suis orienté en Anglais », explique-t-il. Ce qui lui a permis d’obtenir  une bourse qui lui permet de poursuivre ses études à l’abri des besoins financiers jusqu’en Maîtrise.  Étant en Maîtrise, poursuit-il,  « pour préfinancer mon DESP ( Bac plus 5) en Management des systèmes d’information. Malgré tout, je suis resté littéraire puisque je suis aujourd’hui professeur d’anglais. C’est Mr Miezan qui m’a inculqué cette culture des lettres ».

M Miezan mettait un point d’honneur sur la tenue vestimentaire des élèves et il y tenait comme la prunelle de ses yeux. Avec lui, il fallait être correctement habillé et bien chaussé (chaussures fermées). Les sandales sont bannis, les cheveux devaient être bien coupés et propres. Chaque matin il faisait le tour des salles de classe pour des contrôles. Et gare aux réfractaires !

L’homme a servi la nation avec dévouement et abnégation et a contribué sans l’ombre d’un doute à l’éducation d’une bonne partie de la jeunesse de Sikensi et de Bonoua. Il était surtout  l’ami intime des récalcitrants, des crânes brûlés qu’il savait mettre au pas.

Aujourd’hui, il laisse derrière lui des centaines d’anciens élèves,  reconnaissants pour ce qu’il a apporté dans leur vie, 8 enfants dont deux qu’il a adopté des anciens collègues devenus de bons amis pour lui  et de nombreux frères et sœurs tous inconsolables. Le samedi  7 mai 2022 l’éducateur hors pair sera conduit à sa dernière demeure au cimetière municipal de Bassam, sa ville natale.

Kindo Ousseny

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