Interview/ Fadiga Abdoulaye, étudiant en travaux publics et agri preneur à ses paires jeunes : “Le retour à la terre sera un frein à l’immigration clandestine”

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La terre ne trahi jamais comme le dit l’adage. Ce dicton, Fadiga Abdoulaye, jeune étudiant en travaux publics semble l’avoir compris. Il a décidé de retourner chez lui au bercail pour cultiver la terre malgré son brillant parcours scolaire. C’est la culture de tomate qui a captivé son attention. Aujourd’hui c’est un homme épanoui avec beaucoup d’ambitions. Dans cette interview, il revient sur sa jeune carrière d’agri preneur (entrepreneur agricole) et invite ses pairs jeunes à s’intéresser à l’agriculture et à se détourner de l’immigration clandestine.

Vous êtes étudiant avec un cursus scolaire impressionnant, mais vous préférez qu’on vous présente dans votre nouveau statut d’agri preneur. Dites-nous comment vous êtes passé d’étudiant à agri preneur ?

Aujourd’hui, nous sommes dans une société où la majorité des relations est basée sur l’égoïsme, l’égocentrisme et l’individualisme. Mais un être humain qui vient sur terre, a forcément quelque chose à apporter, tu n’es pas là seulement pour recevoir. Dans mon domaine le BTP, je pouvais travailler dans un cabinet ou pour des personnes haut placées. Je voulais réellement mon autonomie et je voulais aussi le bonheur de ma nation en partant de chez moi. C’est comme ça que je me suis jeté dans la culture de la tomate. Cela dans une double intention de créer des richesses chez moi et et freiner l’exode rurale. Tout n’a pas été rose au début car j’ai commencé en tapant des briques, ce qui a mon avis n’était pas rentable. Avec les charges, il me fallait penser à quelque chose de plus rentable et qui allait assurer mon autonomie. C’est comme ça je me suis tourné vers la terre et la culture de la tomate était la seule option qui m’ouvrait ses bras.

Pourquoi justement avoir choisi la culture de tomate ?

Je pouvais faire d’autres cultures, mais j’ai été inspiré par une dame qui vendait le casier de tomate à 25000 FCFA. J’ai été séduit par le profit que cela engrangeait. Une interrogation me venu à l’esprit est : on peut faire du profit comme ça dans la terre surtout dans la tomate ? C’est comme ça je me suis jeté dans cette culture. Avec les renseignements que j’ai eu à poser autour de moi et les assurances que j’avais, je me suis dit : j’ai trouvé ma destinée.

Quand vous vous êtes dit qu’il fallait quitter la capitale pour le village ?

En fait la décision de quitter Abidjan pour le village était comme un appel de Dieu. Combien de personnes disent dans leur bouche que l’économie du pays repose sur l’agriculture ? L’économie d’un pays ne peut pas reposer sur l’agriculture et puis les agriculteurs seront les plus pauvres de ce pays, et puis on va marginaliser l’agriculteur. Quand on regarde bien, personne ne peut faire une journée sans manger. Pourquoi notre pays importe de la nourriture ? La Côte d’Ivoire a une économie qui est forte en réalité parce qu’on a des ressources naturelles. C’est-à-dire l’or, le diamant, le pétrole etc. C’est pour ça qu’on tient, mais en terme de production, je ne connais pas en dehors du cacao qui est destiné à partir à ailleurs ou du café qui doit aller ailleurs, une culture vivrière dans laquelle nous nous auto suffisons vraiment. Imaginez qu’il y ait un embargo sur ces produits qu’on importe, notre argent ne nous servira à rien. C’est au regard de tout ça que je me suis dit qu’il est temps. Voilà en quelque sorte les motivations qui m’ont poussé à faire le maraîcher. J’ai un rêve, c’est celui d’être un producteur dans la culture vivrière. Donc le changement peut commencer par moi.

Comment vous avez démarré, étiez-vous seul ou avec d’autres jeunes comme vous ?

En réalité, Je n’ai pas commencé seul. Voyez-vous, l’un des plus gros problèmes au niveau de l’entrepreneuriat en Côte d’Ivoire, entre nous ivoiriens c’est la malhonnêteté, c’est le manque de probité dans nos rapports et le manque de respect de nos engagements. Tu sais, quand tu vois quelqu’un travaillé seul, c’est parce qu’on l’a obligé à travailler seul. Au départ j’ai fait champ de tomates avec certaines personnes mais après ils m’ont trompé. Je suis allé voir d’autres encore et j’ai même forcé pour qu’on puisse travailler en équipe, mais quand tu travailles en équipe que tu donnes toute ton énergie, ton argent, ton temps et que les autres trichent et qu’à la fin, ils veulent encore se faire passer pour des victimes, c’est triste. Donc c’est comme ça qu’il y a exactement huit (8) mois que j’ai pris la décision de travailler seul après un an de travail avec des gens qui n’a pas abouti.

Quel est le montant avec lequel vous avez démarré ?

Je me suis lancé avec pas plus de 100.000f. Pour la parcelle, les parents me l’ont donné. Avec ça, j’ai payé les intrants. J’ai été aidé par des aînés qui m’ont soutenu avec des motos-pompes et puis des pulvérisateurs… Je me rappelle aussi qu’il y a un grand frère qui m’accompagné avec de l’engrais parce qu’ils ont vu ma motivation, ils m’ont aidé de leur manière. Mais, le plus important c’était mon énergie. Je suis parti de façon stratégique en essayant différentes qualités de tomates afin de connaître la meilleure. Quand je rencontrais une maladie, je partais sur internet ou j’appelais des gens au Burkina qui sont dans le domaine, je me renseignais de partout pour connaître des bactéries et un jour même j’ai trouvé une formule que les vieux ne connaissaient pas. Je suis parti à la pharmacie, j’ai pris un produit et d’autres produits que j’ai mélangé et quand j’ai pompé la maladie a disparu. La commercialisation est extrêmement difficile quand j’ai fait la première récolte, j’ai obtenu un casier que j’ai envoyé au marché sur place et les dames m’ont proposé me disent le casier à 10.000f.

Les choses n’ont vraiment pas été faciles pour vous…

Effectivement. Un carré peut donner 50 à 100 ou 150 casiers. Allons-y sur la base de 50. Dans le carré, j’ai investi environ 500.000f ou 600.000f et si je vends 50 casiers à 10.000 FCFA. Cela me fait 500.000 FCFA c’est comme si je n’ai rien gagné. C’est ce que j’ai mis que j’ai reçu or à Abidjan le kilo de la tomate est à 500fcfa donc si le kilo de la tomate fait 500 FCFA alors que le casier pèse entre 40 et 50 kilos ; 40 ×500 FCFA, cela revient à 20.000 FCFA et le transport du casier de Touba à Abidjan ne peut pas dépasser 5000 FCFA donc tu comprends que les commerçantes nous tuent. C’est comme ça que je viens avec les casiers à Man et là-bas on les prend à 15.000 FCFA. Ce qui est raisonnable. Le coût du transport de la tomate de Touba à Man revient à 1000 FCFA donc la dame qui va acheter là-bas va avoir 4000f sur le producteur qui se tue.

Vous vendez combien de casiers, en terme d’estimation, quand tout marche bien ?

En début de récolte on peut se trouver avec une vingtaine de casiers dont les prix varient entre 15.000 FCFA et 17.500 FCFA. Le rendement dépend de l’entretien, de l’arrosage et consort mais au minimum 50 à 60 casiers sur un carré. Pour produire un carré, il faut au moins 500.000 FCFA. Et si les casiers sont payés à 10. 000 FCFA l’unité, vous avez juste vos dépenses. Et si ils sont payés à 15.000 FCFA ce qui veut dire que vous avez un intérêt de 50%de votre production souvent le casier peut être vendu à 20.000 FCFA, 25.000 FCFA voire 30.000 FCFA. Voilà pourquoi on dit que c’est crédo juteux.

Où commercialisez-vous vos productions ?

Pour l’heure, c’est à Man et à Touba que les récoltes sont acheminées. Mais j’ai une fois envoyé deux casiers de tomates à Yamoussokro.

Avez-vous reçu une formation avant de commencer ?

Je n’ai pas fait de formation sur la production des tomates ni l’agriculture. J’ai appris sur le tas. Internet est une bibliothèque pour nous enseigner (…). Je peux vous donner des détails sur la tomate que même certains devanciers ne savent pas.

Quels sont cependant les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?

Le travail de la terre sans moyen demande beaucoup d’effort physique. Dès le moment que notre agriculture n’est pas motorisée, les premières difficultés commencent. Faire le traitement de la tomate est complexe, la tomate est l’une des plante qui est très sensible aux maladies fongiques c’est-à-dire des maladies causées par des champignons, donc son traitement est complexe. Il est important d’avoir un forage à proximité pour ne pas rencontrer des problèmes d’eau. A ces problèmes, nous avons celui de la commercialisation. Il faut que le prix soit maintenu pour le bonheur de l’agriculteur. Et enfin il nous faut la ressource humaine pour travailler vraiment. On n’a pas de moyen de transport pour aller vendre nos productions ce qui limitent nos bénéfices.

Comment vous vous voyez dans 5 ans?

Dans 5 ans, je vois un Alliko Dangote, qui a des parcelles de plus de 50 hectares et qui emploie plus de 500 ouvriers qu’il paye selon les normes en vigueur. Me faire de l’argent et être utile, parce-que pour moi être riche c’est être utile, car chaque fois que tu vends ta marchandise c’est une utilité contre de l’argent. Mon rêve c’est d’avoir de grandes parcelles et être auto-suffisant en tomates chez moi pour ensuite exporter afin de nourrir d’autres nations. Être la locomotive du vivrier de la côte d’ivoire.

Qu’attendez-vous des autorités et des jeunes ?

J’attends un appui très important et significatif, car mon rêve c’est le rêve de tous les ivoiriens. Il faut que l’État nous vienne en aide pour que ce rêve positif soit une réalité. Un point, quand l’État finance les entrepreneurs, c’est plus basé sur la théorie pourtant, il y en a qui sont déjà sur le terrain qui pratique l’activité déjà, et donc il faut que l’État pense à ces jeunes-là. Sinon ils ne seront pas productifs. Il faut que l’Etat s’implique davantage dans ce secteur hautement porteur. L’Etat à l’instar du café et du cacao se doit d’accompagner les agri preneurs mais surtout ceux qui sont dans le maraîcher. Le maraîcher est plus consommé localement que le café et le Cacao. Il nourrit bien son homme. L’Etat doit nous accompagner à suivre notre commercialisation, mettre des agents pour suivre le prix moyen donné à la tomate pour que le producteur se sente à l’aise. Si cela est fait, la tomate sera l’or rouge. J’attends beaucoup au niveau des cadres pas seulement moi mais pour tout jeune qui se démarque. Au niveau des jeunes, il faut qu’on agisse en attendant de se démarquer faire le nécessaire soi-même avant que l’aide ne vienne. Le défi c’est nous d’abord, il faut agir, se lancer, s’engager avant qu’on ne soit aidé, car c’est dans l’ambition le courage et le travail acharné que l’aide vient. Je demande aux jeunes de se mettre au travail… L’Etat ne doit pas laisser les producteurs du vivrier à la traîne.

Votre parcours est, on ne peut plus impressionnant, qu’est-ce que vous voulez vraiment qu’on retienne de celui-ci ?

L’objectif pour moi c’est d’éveiller les consciences et cela en faisant aimer l’agriculture à tous. Par exemple : Un carré de production de tomate fait 500.000 FCFA d’investissement, deux carré font 1milion FCFA, trois carrés, 1,5milion FCFA et quatre carrés reviennent à 2milion FCFA. Imaginez que j’ai un ha que je divise les un hectare en quatre. Ce mois je repique un carré ; quand la tomate a un mois de production de croissance, on pique le deuxième ; quand lui il a un mois, on pique le troisième ; quand lui il a un mois, on pique le quatrième. Au moment on est en train de piquer le quatrième, on récolte le premier. Maintenant si on est à deux hectares, vous allez voir que chaque mois vous allez récolter un carré qui vous donne approximativement un million pour un investissement de 500.000 FCFA. Vous voyez qu’on a 500.000 FCFA chaque mois si la méthode est bien suivie. Avec ça, je peux facilement embaucher des gens et les payer en fonction du Smig. C’est lorsque notre distraction dépasse notre niveau de travail qu’il y’a problème. Je suis dans l’agriculture pour faire changer les choses.

Aujourd’hui, notre jeunesse trouve que la vie sous nos tropiques est difficile et que l’ eldorado c’est l’Europe ; pour cela ils sont prêts à affronter la mer pour s’y rendre avec son corollaire de morts. Vous qui avez réussi à sortir la tête de l’eau grâce à l’agriculture et malgré votre niveau d’étude, est ce que vous pouvez affirmer que le retour à la terre est une solution contre l’immigration clandestine ?

L’immigration clandestine n’est pas une solution et n’a jamais été une solution. Tout début est toujours dur, ce n’est pas pour cela que nous n’acceptons pas de travailler. Pourtant il faut admettre que la vie n’est pas facile (…) C’est ce message que je veux faire passer en me mettant dans ce secteur. La terre aujourd’hui occupe près de 70% de la population. C’est vrai que les jeunes s’en vont aujourd’hui, ceux qui vont là si vous regardez l’origine des fonds qui les aident dans cette aventure, c’est souvent l’argent des parents qui ont travaillé dur dans les champs. Beaucoup de cadres aujourd’hui ont été éduqués grâce à l’argent de récolte des vieux paysans. Ce qu’il faut aujourd’hui c’est de moderniser ce secteur. Il faut que les jeunes dans leur famille chaque jour disent, bon la parcelle familiale qu’on a doit être mise en production, c’est plus rentable qu’être dans un bureau. La solution aujourd’hui au chômage c’est inéluctablement l’agriculture. Avec le boom démographique, c’est impossible que l’administration puisse absorber tous les diplômés au chômage. Le retour à la terre est le seul moyen de freiner L’immigration clandestine et le chômage.

Doumbia Seydou badian

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