A Kankan, en Haute – Guinée, comme partout ailleurs en Guinée, aucune trace institutionnelle rappelant la star Aboubacar Demba Camara, virtuose du légendaire orchestre Bembeya Jazz National.

Jeudi 25 septembre. Il est 17h16. Notre équipe foule les terres de Saraya, petit village d’où était originaire l’artiste. C’est dans la région de Kouroussa. « Vous évoquiez ce matin le groupe Bembeya, n’est-ce pas ? Eh beh, nous serons chez Demba dans quelques minutes », avertit notre compagnon de voyage. Quelques instants passent. Et nous voici à Saraya, un village comme les autres en Haute-Guinée : des cases coiffées de toit conique en paille, des maisons modernes, aussi.
Pour une personne non avertie, rien n’indique à priori que cette localité est le village parental de Demba. Aucune pancarte particulière ni une construction emblématique en son honneur. Sauf que, tiens ! A l’entrée nord du village, notre compagnon de voyage nous indique à gauche un endroit où hommage lui a été rendu il y a quelques années.
Ce qui reste de l’artiste…
Pieds à terre, nous nous précipitons à l’emplacement en question. Là, juste en bordure de route, l’on découvre une stèle d’environ 1m70 érigée sur un monticule ensablée. La stèle représente l’illustre disparu Aboubacar Demba Camara. Renseignement pris, la colonne est l’œuvre d’une association. En restant superficiel, l’on peut reprocher à l’artisan de cette statue le manque de stature, d’adresse, de finesse voire de goût ; un amateur sans niveau, peut-on s’empresser de dire. Bref…
Et pourtant, la volonté ne fait pas défaut ! Il faut souvent chercher le sens caché des choses. Le monument est serti dans une matière visiblement granitique. Demba en position débout, micro à la main. Il est impeccablement habillé : pantalon blanc, soulier noir, costume noir surmonté d’un nœud papillon orange. Les yeux perçants et une tête arrondie sous une coupe de cheveux coupés courts et bien délimités. Tout est ajusté et stylé. Une remarquable représentation du Demba l’élégant, Demba l’esthète. Majestueux Demba !
A proximité se trouve plantée une pancarte sans grande envergure portant un portrait de l’artiste lorsqu’il était dans l’effervescence de son âge et de son art. Les écritures sur la pancarte sont illisibles. La pancarte a été dégradée. Hélas !
Mort le 4 avril 1973 après un tragique accident de la circulation au Sénégal, les souvenirs d’Aboubacar Demba Camara, membre influent de l’orchestre Bembeya Jazz, restent certes vivaces en Haute-Guinée. Nous posons des questions ici et là sur l’homme, le virevoltant Demba Camara. « Il était bien d’ici. Saraya est son village. Il nous a rendus fiers, et nous sommes très fiers de son parcours », nous répond avec mélancolie un homme du village. Il enchaîne, au bord des larmes, « Demba est parti si tôt… ».
La réaction de l’office du tourisme devant l’absence de reconnaissance officielle
La renommée de Demba dépasse les frontières de la Guinée. L’incontournable corde vocale qu’il était, avait réussi de fort belle manière à hisser le légendaire groupe artistique Bembeya Jazz National au firmament de la scène musicale mondiale. Depuis quelques années, un embryon de l’orchestre renaît de ses cendres à Conakry, encadré par l’un des uniques continuateurs, à savoir Sékou Diabaté dit Diamond Fingers. Le Bembeya Jazz, c’est 24 artistes à sa création en 1961 dans le sud de la Guinée à Beyla en plein cœur du pays konianké. C’est aussi une dizaine d’albums dont Sabu et le chef-d’œuvre Regard sur le passé. Ce sublime groupe soutenu et nationalisé par le président Ahmed Sékou Touré, resta durant de longues années le symbole de la révolution guinéenne. Il a remporté à plusieurs reprises le prix du Festival National des Arts.
La question qui revient sur les lèvres est de savoir le manque d’intérêt pour les artistes Demba et Laye Camara dans la représentation mémorielle institutionnelle ? A Kankan, chef-lieu de région, le chef d’agence de l’Office national du tourisme essaie de répondre à notre préoccupation : « Pour le moment, il n’y a pas d’action concrète à l’endroit de Demba Camara et Laye Camara », admet Adama Daouda Kéita, avant de rassurer : « Nous espérons qu’au sein du musée régional en construction, une case sera consacrée à ces illustres disparus ».
Mandé Adams, de passage en Haute-Guinée