Reportage/ Colonisation des flancs des montagnes : Comment la soif de se loger fait prendre des risques à des populations

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La ville de Man, surnommée “la ville aux murs de pierres”, est une cité pittoresque nichée au cœur d’une cuvette entourée de majestueuses montagnes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Réputée pour ses paysages époustouflants, son relief accidenté et son riche patrimoine culturel, Man attire aussi bien les chercheurs que les touristes en quête de beauté naturelle et d’authenticité. Cependant, derrière cette image idyllique se cache une réalité préoccupante : les constructions anarchiques sur les flancs des montagnes. Cette pratique, autrefois marginale, est devenue une habitude bien ancrée chez les populations. Le faisant celles ci exposent leurs vie à cause des risques d’éboulement qui peuvent s’en suivre mais également causent un réel déséquilibre environnemental à travers la dégradation des flancs des montagnes. Posant ainsi des défis majeurs aux autorités locales.

Plusieurs raisons expliquent cette colonisation des flancs des montagnes. Les personnes approchées évoquent tantôt le manque d’espace constructible sur la terre ferme, tantôt la pression économique et les opportunités limitées. En parallèle, les autorités locales se défendent en pointant du doigt les défis de régulation et les ressources insuffisantes pour faire respecter la loi. Les efforts déployés pour encadrer ce développement anarchique semblent souvent vains face à l’ampleur du problème et à la détermination des populations à trouver un toit, quel qu’en soit le prix.

Une opportunité à saisir pour les habitants de cette zone

Aujourd’hui, dans la ville de Man, aucune montagne n’est épargnée par ce phénomène. Tous les quartiers de Man subissent l’agression “sauvage” des flancs des montagnes. Le quartier Koko, côte 11 mai, plusieurs habitants ont construit leurs maison et y vivent depuis plusieurs années. Ces habitants, qui ont souhaité garder l’anonymat, nous ont expliqué les conditions d’accès à ces zones.

« Je suis née à Man, j’y ai passé toute ma vie. Lorsque j’ai commencé à travailler, il m’était difficile d’acheter un terrain. J’avais vraiment envie de m’installer avec ma famille afin de quitter la maison que je louais. C’est là que, par le truchement d’un ami, on m’a dit que les terrains sur les flancs des montagnes étaient vendus à moindre coût. Quand je suis venu, celui qui s’occupait de ça, un ancien gars du quartier, m’a proposé un espace à 45 000 FCFA où je pouvais construire un pièce de deux chambres et un salon. J’ai sauté sur l’occasion et j’ai construit. Aujourd’hui, je suis heureux avec ma famille », a expliqué M. K.P.

Comme lui, tous les habitants rencontrés évoquent les mêmes raisons : la pression démographique entraînant une rareté des parcelles et donc une explosion du prix des lots à Man. Ce qui pousse certains habitants à se tourner vers les flancs des montagnes malgré les risques que cela comporte. « Les terrains sont très chers. Nous, au quartier Maroc de Man, avons eu une opportunité. Au lieu de mettre 600 000 FCFA ou 1 million de francs pour un lot de 500m², nous avons préféré investir sur un terrain à 100 000 FCFA. Nous sommes conscients des risques mais nous nous remettons à Dieu », nous confie une dame du quartier Maroc.

Les occupations, faut-il le préciser, sont faites en toute illégalité. Car les personnes qui y vivent ne disposent d’aucune autorisation de construire, encore moins de papiers afférents aux terrains occupés. L’accès à ces espaces se fait par le biais de personnes se disant propriétaires terriens, moyennant une modique somme.

Des difficultés rencontrées dans la construction

Après l’acquisition du terrain, pour la construction, les habitants sont prêts à payer doublement pour faire acheminer le matériel, car aucun véhicule ne peut monter là haut. Les charges sont portées sur la tête. Dans ces conditions, la tarification pour acheminer le matériel est doublée voire triplée en fonction de la hauteur. « C’est vrai que nous avons les terrains à vil prix, mais nous dépensons énormément pour la construction. Il faut faire venir le matériel, l’eau, le ciment, le sable, les tôles, etc. On loue des jeunes qu’on paye pour monter tout le matériel. Nous sommes confrontés à des risques de blessures et certains matériels se détériorent souvent en chemin. Malgré cela, ça les maisons nous reviennent moins chères», poursuit K.P.

Un mode de vie à haut risque

La vie en hauteur est très risquée.Il y a quelques mois, un rocher s’est détaché et a roulé pour venir s’encastrer dans une maison en construction sur le flan d’une montagne situé vers le corridor Djagassa. Aucune perte en vie humaine n’a cependant pas été enregistrée. Bien avant, un incident du genre est survenue en pleine nuit, du côté du quartier lycée. Là également, il y’a eu plus de peur que de mal. Les populations bien que conscientes des risques que sont les éboulements de rochers avouent n’avoir pas le choix. Elles s’en remettent à la volonté divine. En hauteur, il n’y’a pas que la sécurité des habitants qui est menacée. Il y’a également les difficultés d’accès aux services de base comme l’eau et l’ électricité. Ces services manquent cruellement. Pour pallier à ces difficultés, ils sont obligés de recourir aux branchements anarchiques en ce qui concerne l’électricité. S’agissant de l’eau potable, des bidons d’eau sont acheminés pour la satisfaction des besoins.« Quand nous avons des urgences sanitaires, nous ne pouvons pas appeler les sapeurs-pompiers ni les urgences. Nous essayons de faire le nécessaire pour évacuer nos malades car l’accès n’est vraiment pas facile. Mais nous sommes chez nous et n’avons pas le choix », nous raconte un interlocuteur.

La réaction des autorités

Selon le directeur des Eaux et Forêts, le colonel Djan Yapo, ces zones, souvent revendiquées à tort par des individus ou des communautés, sont protégées par l’Etat de Côte d’Ivoire.« Selon les lois nationales, ces espaces naturels doivent être préservés pour garantir la biodiversité et les ressources vitales pour les générations futures. Dans notre loi, les flancs de montagne sont des zones de protection et ne peuvent appartenir à un individu ou à une communauté », a-t-il expliqué.

À l’en croire la destruction des arbres sur les flancs des montagnes crée un déséquilibre dans la structure de la roche, favorisant la dilatation thermique et les éboulements de blocs rocheux. « Cela pose un risque pour les constructions et les vies humaines. Il y a aussi un impact économique, car les habitations peuvent être détruites; et un risque sanitaire, car les zones montagneuses sont difficiles d’accès pour les secours. Il est crucial de prendre des précautions pour éviter ces installations et protéger les vies humaines », a ajouté le Dr. Yapo.

C’est en raison de tous ces dangers qu’il exhorte les populations à ne pas s’exposer davantage en construisant sur ces flancs pour leur propre sécurité et éviter des risques d’éboulement. « Le code forestier est clair sur la protection des forêts y compris les flancs de montagne. Je voudrais lancer un appel à la population pour que nous puissions travailler en synergie et comprendre l’importance de protéger nos espèces, que ce soit la forêt, la faune, ou la biodiversité. Notre environnement est crucial pour notre avenir », a-t-il conclu.

Doumbia Seydou Badian

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