Dossier/ Grossesses en milieu scolaire dans le Tonpki : Les relations entre élèves comme première cause de ce phénomène

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Les chiffres sur les grossesses en milieu scolaire inquiètent dans la région du Tonkpi. Sur un total de 4137 cas enregistrés au cours de l’année scolaire 2023-2024, la région du Tonkpi se classe en seconde position avec 408, selon le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) derrière la région de la Nawa qui enregistre 409 cas. Une situation qui préoccupe plus d’un et suscite moult interrogations sur l’identité de leurs auteurs, les raisons de l’accroissement de ces chiffres et les solutions pour y mettre fin.

C’est une situation alarmante. La région du Tonkpi n’est pas mieux logée en matière de grossesses en milieu scolaire. Au vu de son classement. Elle se trouve dans le peloton de tête en occupant le 2e rang. Toute chose qui interpelle les autorités éducatives, les parents d’élèves et la société civile à envisager des solutions pour y remédier. Cette situation, en effet, compromet sérieusement l’avenir des jeunes filles. Et les victimes se comptent aussi bien au primaire, au collège qu’au lycée. sur les causes profondes de ce fléau. Dans la région du Tonkpi, les cas de grossesses en milieu scolaire deviennent de plus en plus fréquents. Primaires, secondaires, les jeunes filles deviennent des proies de plus en plus faciles pour les prédateurs. Parmi celles-ci une écolière du CM2 à l’Epp petit-Gbapleu, dans la commune de Man.

Les facteurs d’une situation préoccupante

Selon de nombreux enseignants interrogés, plusieurs facteurs expliquent ces chiffres alarmants. Ce sont principalement les influences culturelles et sociales. La région est, en effet, réputée pour donner en mariage les enfants à bas âge et parfois de gré ou de de force. Les petites filles mères au foyer sont donc légion. Cette situation encourage chez les autres filles l’envie de sortir avec des adultes ou se mettre en couple avec eux. Si les filles sont données très tôt en mariage, elles ne reçoivent cependant pas aucune éducation sexuelle. Car le sexe reste tabou dans les familles.

S’agissant des facteurs sociaux, l’on note la précarité économique qui pousse certaines jeunes filles à se lancer dans des relations sexuelles en échange d’argent ou d’autres formes de soutien. A ce facteur, il faut ajouter le Manque de surveillance parentale. Les parents, souvent occupés par leurs activités économiques, ne supervisent pas suffisamment les activités de leurs enfants. Les jeunes filles et garçons ont aujourd’hui accès à toutes sortes de sites pornographiques à moindre coût et à des émissions qui ne sont pas admises pour leur âge. La dépravation des mœurs et l’explosion des nouvelles technologies de l’information et la communication (réseaux sociaux et télévision…) sont aussi des facteurs à prendre en compte.

Toutefois s’il y’a une raison sur laquelle il faut insister c’est l’avènement des réseaux sociaux qui accentuent le phénomène ces dernières années. Aujourd’hui, avec la facilité avec laquelle les jeunes filles s’offre des téléphones Android qui leur donne accès aux réseaux sociaux, elles développent par ce biais des réflexes d’auto- éducation à la sexualité, un mimétisme vis à vis de comportements à risques, un goût effréné pour le luxe qu’elles s’engagent à s’offrir au travers d’une marchandisation de leur corps. Tout comme la pratique des notes sexuellement transmises pratiquées de nos jours dans nos établissements scolaires secondaires. Elle consiste pour les enseignants à coucher avec les apprenants en contrepartie de rapports sexuels.

Les élèves la plupart des auteurs

Si certains portent un regard accusateur sur le corps enseignant d’être les principaux responsables de ces grossesses, force est d’admettre que la plupart des auteurs de ces grossesses sont les élèves eux-mêmes. Une infime part revient aux enseignants et au personnel éducatif. Ensuite, viennent les hommes exerçant de petits métiers susceptibles de donner régulièrement à ces jeunes filles quelques billets pour les attirer dans les mailles de leurs filets. « Peu importe le montant, pourvu que cette somme puisse leur permettre d’assurer ce que papa et maman ne peuvent pas. Ces jeunes filles sont des proies faciles face à ces gens », explique Ernest Guiagon intendant dans un établissement secondaire de Danané. En ce qui concerne les élèves, Zaky Ibrahim, enseignants, indique que ces derniers usent de leur proximité avec les jeunes filles pour les mettre enceinte.

Des témoignages des jeunes filles concernées

Bamba Saly jeune élève de 3e, victime de grossesse précoce, dit avoir a été contrainte de sortir avec un adulte par manque d’argent. « Depuis mon arrivée chez ma grand-mère à Man après mon entrée en sixième, j’ai été confrontée à d’énormes difficultés financières. Faire la distance Air France Lycée était parfois pénible. Avec seulement 200 fcfa que ma mémé me donnait je ne pouvais pas faire grande chose. Je sortais avec mes camarades et souvent au restaurant elles payaient tout. Cette situation me gênait vraiment. J’ai été aidé par un tonton du quartier qui vraiment me soutenait financièrement même en cas de maladie, il était là. Mes parents, c’était difficile puisque ma mère remariée et mon père avec sa nouvelle femme se soucient peu de moi. A peine si j’arrive à joindre les deux bouts. J’ai commencé à m’attacher à mon bienfaiteur et nous avons fini par avoir des relations sexuelles jusqu’à ce que je tombe enceinte et c’est là que j’ai été enceinte », raconte-elle. Elle a malheureusement échoué à son examen. Si pour certaines c’est le manque d’argent qui les a poussé dans les bras d’un homme, d’autres expliquent leur cas par la pression familiale. La petite A.S, jeune fille d’ethnie Peulh, en classe de 4e, pour sa part, explique son cas par l’ignorance sur la sexualité. « En tant que fille Peuhl, l’éducation chez nous est un peu rigide. Un soir je me suis caché pour aller à une fête au village et j’ai rencontré un jeune débrouillard qui m’a abordé ensuite tout s’est passé très vite. J’ai su que j’étais enceinte pendant la rentrée scolaire 2023-2024. Mon papa m’a chassée de la maison et j’ai été accueilli par ma belle famille jusqu’à ce j’accouche en fin d’année scolaire. La grossesse a eu un impact sur mon année scolaire car je n’arrivais pas à étudier correctement parceque j’étais régulièrement malade. J’ai donc repris ma classe », a-t-elle relaté avec amertume. Aujourd’hui, elle vit chez sa belle-mère avec sa fillette qui a 2 mois. Carole (nom d’emprunt), jeune fille mère âgée de 17 ans, quant à elle soutien qu’elle a été contrainte d’abandonner ses études à cause de la grossesse qu’elle a contracté.

Stéphanie, élève au lycée moderne de Man, a elle eu plus de chance. Elle n’a pas été contrarié par sa son état de grossesse. Elle a pu passer son examen du bac et le réussir. « J’arrive à gérer vie scolaire et maternité. Mon enfant est né juste après la composition du Bac. Je rends grâce à Dieu j’arrive avec la vente en ligne à m’occuper de mon enfant et gérer les charges quotidiennes. Le père de mon enfant qui est lui aussi élève essaie tant bien que mal de me soutenir. Nous tentons de faire en sorte que notre enfant ne manque de rien », laisse-t-elle entendre.

Des failles dans le système éducatif ivoirien

Pour expliquer ce phénomène, des enseignants pointent également du doigt des failles dans le système éducatif, le programme scolaire n’aborde pas suffisamment la question de l’éducation sexuelle. C’est en classe de 3e qu’elle est enseignée mais pas en profondeur comme il se doit. Bamba Fahi, professeur d’EDHC, pour sa part, accuse le fait que notre système éducatif est devenu permissif.« La discipline, reconnaissons le, par la volonté des pouvoirs publics de sur- protéger les élèves, a foutu le camp. Et les jeunes filles évoluent, par conséquent, dans un environnement moral quasi permissif qui les poussent à ne pas se donner de limite, à même nouer ouvertement des relations amoureuses avec leurs condisciples au vu et au su de tous», a laissé entendre l’enseignant du secondaire.

Des pistes de solution

Il y a urgence, les voyants sont au rouge dans la région du Tonkpi en ce qui concerne les grossesses en milieu scolaire. Des mesures urgentes s’imposent pour atteindre l’objectif zéro cas de grossesse. Des solutions existent. Ces solutions, sans être exhaustif, passent par la sensibilisation des parents sur leurs responsabilités, intégrer des programmes d’éducation sexuelle dans les curricula scolaires pour éduquer les élèves sur les questions de sexualité, de contraception et de responsabilité, améliorer l’accès des jeunes filles aux services de santé reproductive, conseillent des spécialistes de l’éducation. Pour d’autres, mettre en place des programmes de soutien économique en faveur des familles défavorisées. Sans oublier la multiplication de collèges de proximité pour maintenir les élèves près des parents.

Doumbia Seydou Badian

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