Interview/ Loukou Kanga, assistant social : “Le silence tue. Il faut dénoncer les violences, même anonymement”

Temps de lecture : 4 minutes

Assistant social au Centre social de Man (Dioulabougou), Loukou Kanga est au cœur des réalités les plus sensibles : violences basées sur le genre, exploitation des enfants, conflits familiaux, ruptures sociales. Dans cet entretien, il décrypte les mécanismes qui fragilisent les communautés, l’impact des violences sur les victimes, les limites de l’application des lois et les défis quotidiens de son métier. Il lance un appel fort à la mobilisation collective, à l’application rigoureuse des textes et à la responsabilité citoyenne.

Comment définissez-vous votre mission principale dans la protection des communautés ?

Loukou Kanga : L’assistant social est avant tout un acteur du bien-être des populations. Il observe, écoute, analyse et accompagne. Nous agissons sur la qualité de vie des familles, en identifiant les conditions qui favorisent leur stabilité et leur épanouissement. Notre mission est d’aider la société à s’orienter vers un développement harmonieux. Lorsque la cellule familiale est solide, la société se porte mieux. Notre travail repose sur la prévention, la protection et l’accompagnement social.

Quels sont aujourd’hui les phénomènes sociaux les plus préoccupants dans votre zone d’action ?

Loukou Kanga : Le premier problème est l’instabilité familiale. Beaucoup de foyers se déstructurent : manque de communication, tensions internes, comportements déviants, perte de repères. Les enfants en subissent directement les conséquences : vulnérabilité accrue, errance, violences domestiques, troubles émotionnels. Notre société traverse une crise profonde, car elle s’éloigne de ses fondements. Il est urgent de repenser l’éducation, les valeurs et le type de citoyens que nous voulons bâtir pour demain.

Quelles formes de violences rencontrez-vous le plus ?

Loukou Kanga : Les violences basées sur le genre prennent de multiples formes : viol, agressions sexuelles, violences physiques et psychologiques, excision, mariages précoces, privation de ressources. Autrefois, les cas de viol étaient les plus visibles. Aujourd’hui, ils persistent mais deviennent silencieux, les victimes se taisant par peur de la honte. Les violences physiques et psychologiques restent très répandues et sont souvent banalisées au sein des foyers.

Parlons de la traite et du travail des enfants.

Loukou Kanga : La traite consiste à déplacer un enfant dans un but d’exploitation, même si celle-ci n’est pas encore effective. Le travail des enfants doit être distingué du travail socialisant. Lorsque l’enfant est exposé à des tâches dangereuses, manipulant des produits chimiques, portant de lourdes charges ou travaillant au détriment de sa scolarité, il s’agit d’une violation grave de ses droits.

Quelles structures vous accompagnent aujourd’hui ?

Loukou Kanga : Nous travaillons avec plusieurs partenaires, malgré des moyens insuffisants. L’UNICEF a longtemps apporté un appui technique et financier important. Depuis la fin du projet du 5 juillet, les financements se raréfient, même si des soutiens ponctuels subsistent. Nous collaborons aussi avec FGE Consort et l’État, notre employeur. Les services techniques locaux apportent leur concours selon leurs capacités. Malgré les contraintes, nous poursuivons les sensibilisations et la prise en charge des cas, avec l’implication des familles.

Les lois et politiques existantes suffisent-elles à lutter contre ces phénomènes?

Loukou Kanga : Les textes existent. Le problème majeur réside dans leur application. Dans des communautés où tout le monde se connaît, faire respecter la loi devient complexe. Pourtant, le silence favorise la violence. Il faut une synergie entre travailleurs sociaux, autorités, leaders communautaires et responsables politiques. La sanction est indispensable : elle corrige l’auteur et protège la société. La lutte nécessite une action collective et coordonnée.

Quels sont les impacts sur les femmes et les enfants victimes ?

Loukou Kanga : Chaque violence laisse des séquelles. Physiquement, il y a des blessures, des hospitalisations et des coûts importants. Psychologiquement, les victimes perdent confiance, s’isolent et peuvent sombrer dans la dépression. Socialement, rejet et honte sont fréquents. Les blessures psychologiques sont les plus longues à guérir. La reconstruction exige du temps, de l’écoute et un accompagnement professionnel.

Quelles mesures fortes recommandez-vous pour lutter contre les violences ?

Loukou Kanga : il faut intensifier la sensibilisation, garantir une prise en charge complète des victimes, proposer un accompagnement social individualisé et sanctionner les auteurs. Aucun arrangement ne doit couvrir un crime. Les médiations communautaires sont utiles, mais ne doivent jamais servir à dissimuler un viol ou une violence grave.

Le règlement des conflits conjugaux brise-t-il les couples ou crée-t-il un rapprochement ?

Loukou Kanga : La médiation favorise souvent le rapprochement. Nous aidons les couples à dialoguer et à reconnaître leurs responsabilités. Le ministère de la Femme a mis en place un programme de parentalité pour renforcer les liens familiaux. Nous rappelons également que les hommes peuvent aussi être victimes de violences. Notre accompagnement reste neutre et centré sur l’harmonie familiale.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans vos interventions ?

Loukou Kanga : Certains parents refusent toute intervention. Le fossé générationnel freine le changement. La pauvreté fragilise les familles. Des enfants en situation de rue refusent de réintégrer leur domicile. Il existe un manque criant de structures d’accueil adaptées. C’est pourquoi nous plaidons pour un système de familles d’accueil mieux encadré.

On dit que la société réagit plus lorsqu’une femme est victime que lorsqu’il s’agit d’un homme. Qu’en pensez-vous ?

Loukou Kanga : C’est une perception. Nous accompagnons sans parti pris. Nous aidons les couples à comprendre leurs rôles et à rechercher un terrain d’entente, en proposant des exercices pratiques pour apaiser les tensions.

Comment gérez-vous les cas d’excision ?

Loukou Kanga : C’est l’un des sujets les plus sensibles. La loi interdit l’excision, mais certaines familles continuent de la pratiquer discrètement. Le poids de la tradition est fort. La collaboration des chefs coutumiers, des leaders communautaires et des autorités est indispensable pour protéger les filles. La loi doit être appliquée, mais la prévention demeure la clé.

Quelles sont les causes du travail des enfants dans votre zone ?

Loukou Kanga : La pauvreté demeure la première cause, sans jamais pouvoir la justifier. Certains parents démissionnent de leur responsabilité et confient la survie du foyer aux enfants. On voit des enfants vendre très tôt le matin et tard la nuit dans les marchés et les rues. Cela compromet leur santé, leur éducation et leur avenir.

Un dernier mot ?

Loukou Kanga : Nous devons tous devenir les gardiens les uns des autres. Le silence tue. Il faut dénoncer les violences, même anonymement. Les autorités politiques doivent vulgariser les lois et soutenir les acteurs de terrain. Enfin, cessons de protéger les auteurs parce qu’ils sont des proches. La majorité des violences viennent de l’entourage. Dénoncer, c’est sauver des vies.

Interview réalisée par : Doumbia Seydou Badian

Loading

Partager, c'est aimer!

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *