Tonkpi/ Quand la coupe du bois participe à la conservation forestière

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Couper du bois est vu par la majorité des populations comme une activité de destruction des forêts et partant de là, une menace pour la biodiversité. Pourtant, cette activité, source d’emploi et pourvoyeuse de devises pour l’économie nationale et locale a de nombreux avantages insoupçonnés. Selon les professionnels du secteur, cette activité, si elle est bien régulée ne saurait être un danger pour la survie du couvert forestier. Pour en savoir plus, notre équipe est allée à la rencontre des acteurs du secteur du bois.

C’est à la faveur d’un jour férié que nous décidons d’aller à la rencontre de ceux et celles qui animent le secteur du bois dans la région du Tonkpi et les exploitants forestiers sont au repos. Ils se retrouvent à un kiosque à café au carrefour Cafop (Centres d’Animation et de Formation Pédagogique) de Man pour partager du thé. C’est en ce lieu de rencontre animé appelé communément « grain du Cafop » que nous avons rendez-vous avec des exploitants forestiers. L’un d’entre eux visiblement bien instruit est désigné par ses pairs pour être notre interlocuteur. Il se nomme Ouédraogo Abdoulaye. La cinquantaine révolue, il dit avoir une expérience de plus de trente ans d’exercice dans le secteur bois. Il travaille pour le compte d’une entreprise industrielle du bois.

« Aujourd’hui, nous pratiquons ce qu’on appelle l’abattage sécurisé. La coupe du bois se fait selon des règles établies par le ministère des eaux et forêts. Le bois que nous coupons obéit à certains diamètres pour éviter d’abattre les bois de jeune âge », a-t-il indiqué d’entrée de jeu. Selon lui, il est impossible pour l’exploitant forestier de détruire la forêt de façon intentionnelle surtout que l’exploitation se fait selon le besoin et selon le quota autorisé dans un périmètre donné.

« Pour les essences autorisées par exemple, le fromager doit avoir au minimum 70 centimètres de diamètre pour être coupé. Le samba, le Hako, Dabema doivent atteindre 67 cm de diamètre pour être exploitables. Le Kotibé, le Koto, le Fraké, le Framiré, l’Aniégré devenu difficilement accessible, nous les prenons à partir de 57 cm de diamètre. Toute bille coupée en dessous de ces diamètres constitue une infraction à verbaliser. Les billes sont saisies. Et la contravention à payer aux services des eaux et forêts va de 500 000 à 5 millions de francs Cfa », a expliqué Ouédraogo Abdoulaye.

D’après lui, les contraventions sont très élevées. Ce qui fait que les exploitants forestiers évitent d’être en porte-à-faux vis-à-vis des agents des eaux et forêts. Ces mesures sont prises pour dissuader les contrevenants. Et surtout protéger les jeunes plants et leur permettre de grandir.

 L’abattage sécurisé ou coupe contrôlée

Au cours de l’entretien, notre interlocuteur a expliqué l’abattage sécurisé qui obéit à la protection des exploitants eux-mêmes et des jeunes plants. « Cette manière d’abattre les arbres permet de prévenir les risques d’accident, d’éviter de détruire des plantations qui sont à proximité, et surtout de protéger les jeunes arbres qui n’ont pas encore l’âge de la maturité exploitable », a fait savoir le chef de chantier Ouédraogo Abdoulaye. Il a aussi souligné que tout exploitant a l’obligation de payer des taxes au trésor public. C’est cette somme qui est reversée à la Sodefor, (Société de développement forestière), qui est la structure spécialisée pour mener des opérations de reboisement. « Nous par exemple, nous avons le devoir selon le quota de bois à exploiter dans nos périmètres de reboiser des superficies allant de 15 à 25 hectares de forêt par an. Et nous versons ces fonds au trésor public qui à son tour les remet à la SODEFOR pour mener les opérations de reboisement », a-t-il précisé.

L’exploitant forestier, a dans ses propos, insisté pour dire que l’exploitation forestière est une activité qui ne saurait détruire l’écosystème. « Contrairement aux scieurs clandestins qui sont des pilleurs de l’économie, nous faisons une sélection des espèces et essences selon des critères bien définis. Dans un périmètre par exemple, nous avons un quota de bois à prélever selon nos besoins. Et si ce quota est atteint, nous arrêtons les activités au risque de nous retrouver hors la loi. Nos engins ne dévastent pas la forêt. Ces engins circulent dans les jachères selon des itinéraires bien définis de sorte à éviter de détruire les plantations ou les jeunes arbres. Après le passage de la machine, tout au plus un mois après, les traces disparaissent après une ou deux pluies. Surtout que nous avons des machines à pneus. Rassurez-vous, nous ne détruisons pas les forêts », a soutenu Abdoulaye Ouédraogo.

Kouassi Jean Claude, chef d’usine dans une entreprise de transformation du bois, renchérit pour dire que la coupe du bois n’a pas d’impact sur le couvert forestier. « La coupe du bois se fait de façon sélective, compte tenu de la demande du marché. Si par exemple un client demande du samba, de l’acajou ou de l’iroko, on dépêche des prospecteurs en brousse sur nos périmètres d’exploitation à la recherche de ces essences. C’est après leur prospection, qu’on envoie des scieurs pour l’abattage. Et ensuite le bulldozer rentre en action sur des itinéraires qui tiennent compte de la protection des jeunes plantes et des champs pour faire sortir le bois qui est chargé sur des grumiers pour l’usine. Et après ça la forêt retrouve sa vitalité après quelques pluies », a-t-il expliqué. Pour lui, les principaux destructeurs de la forêt sont les scieurs à façon qui coupent toute sorte de bois, et les exploitants agricoles qui tuent tous les arbres et toutes les plantes.

Plusieurs sylviculteurs et spécialistes des forêts tropicales interrogés dans le cadre de ce reportage soutiennent que la coupe contrôlée ou abattage sécurisé du bois ne constitue pas un crime. Bien au contraire, il permet à la forêt de mieux se porter, de croitre et de protéger la biodiversité. Quand une forêt reste longtemps sans coupe, les arbres vieillissants et encore sur pied commencent alors à se gêner et ne peuvent plus grossir normalement. La forêt devient mal aérée et les arbres fourchus, cassés, mal conformés ou même malades ne sont pas éliminés pour protéger les arbres plus jeunes. Une forêt aérée par l’abattage sécurisé résiste mieux aux vents violents et permet d’éliminer les arbres trop vieux attaqués par les parasites.

L’absence d’une industrie du bois a donc des conséquences très importantes sur la préservation d’un patrimoine forestier. C’est pourquoi en 2016, la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a publié un rapport sur l’utilisation du bois pour répondre au défi du réchauffement climatique. L’exploitation du bois contribue à lutter contre les gaz à effet de serre, que ce soit en bois construction, en bois meuble et même en bois énergie avait indiqué l’organisation.

Le Directeur régional des eaux et forêts de Man, le colonel Djan Yapo Evariste estime que l’exploitation forestière est une activité légale qui ne saurait détruire l’écosystème. Pour lui, un arbre à un certain âge doit être coupé pour servir l’économie.

« Les arbres naissent, grandissent et meurent. Pour nous, l’arbre c’est de l’argent. Donc quand un arbre atteint l’âge de l’exploitabilité il est important de le prélever. En un mot de le couper pour ne pas qu’il meure sur pied », a expliqué le Directeur régional des eaux et forêts.

Pour lui, on ne peut pas interdire l’exploitation forestière, « parce que si elle est faite dans les règles de l’art, elle ne détruit pas la forêt. Elles contribuent à l’économie nationale, les industriels qui offrent des emplois aux ivoiriens, leur matière première c’est le bois. Et leurs sources d’approvisionnement c’est la forêt. Et eux, ils ne coupent pas les arbres de façon hasardeuse. C’est l’agriculture extensive sur brûlis qui constitue un danger », a-t-il précisé.

Le colonel Djan Yapo a soutenu que le succès de la Côte d’Ivoire repose sur l’agriculture. Cela, dit-il, est une réalité mais au détriment de la forêt. Et pour pallier cette situation, le ministère des eaux et forêts a initié ce qu’on appelle l’agro foresterie qui permet aux plantations de café ou de cacao de cohabiter avec des arbres et préserver la biodiversité.

C’est d’ailleurs dans ce contexte que le l’exportateur du café et du cacao, Houspan du groupe OLam devenu Groupe OFI a initié un projet d’agro foresterie dans la région du Tonkpi au bénéfice des producteurs du département de Sipilou dans la sous-préfecture de Yorodougou. « C’est en juin 2021 que nous avons commencé à expérimenter ce nouveau système agricole où l’arbre doit cohabiter avec le cacao. Nous avons reçu, au bénéfice des sociétés coopératives simplifiés Lafibébé et Aky de Yorodougou , 5415 plants d’arbres des espèces comme le samba, le fraqué, le Framiré, le Voua, l’acajou et bien d’autres. Il est recommandé à chaque opérateur agricole de planter au moins 22 pieds d’arbres par hectare soit 246 hectares à reboiser », a expliqué Dant Munka, consultant agricole et planteur à Man. Selon lui, ces arbres doivent non seulement servir d’ombrage pour les cacaoyers, mais aussi et surtout lutter contre la désertification et le changement climatique. « Le cacao, lorsqu’il est trop exposé au soleil, son espérance de vie est courte et il est vulnérable face aux maladies du cacaoyer », a-t-il soutenu.

Le Colonel Djan Yapo Evariste a souligné que l’activité qui est interdite est le sillage à façon. « Ce sont des exploitants clandestins qui ne paient pas de taxe, qui ne contribuent pas à l’économie nationale et mènent une concurrence déloyale aux industriels du bois. L’inconvénient c’est que le scieur clandestin n’a pas de notion sur l’âge d’exploitabilité ni sur la maturité de l’arbre. Il coupe tout ce qu’il voit comme bois. Il n’emploie personne. Et son activité est interdite par la loi », a prévenu le chef de l’administration forestière dans la région du Tonkpi. Il a aussi noté que le nouveau code forestier impose une autorisation préalable des services des eaux et forêts avant d’abattre un arbre sur un espace donné.

Les scieurs clandestins ne se considèrent nullement comme les ennemis de la forêt, encore moins des menaces pour la biodiversité. Ils rejettent les accusations portées contre eux estimant que leur activité d’exploitation du bois à petite échelle et de façon artisanale protège plus la forêt.

C’est la position défendue par K.E, un scieur clandestin que nous avons retrouvé un soir dans un vieux champ de caféier en compagnie de son apprenti. Le site où nous retrouvons l’équipe est situé à environ 2 kilomètres d’un village de la sous-préfecture de Man. K.E a posé comme condition l’anonymat total avant de s’adresser à nous. Il refuse aussi d’être pris en photo. La quarantaine révolue, l’homme scie le bois dans les jachères ou les vieilles plantations avec l’accord des propriétaires terriens. « Nous nous entendons avec les propriétaires des parcelles, parfois ce sont des bois que le vent a fait tomber. Nous négocions avec les maîtres (Ndlr, Propriétaires terriens) des lieux à qui nous reversons une certaine somme avant de scier le bois. La plupart du temps, nous travaillons de nuit pour ne pas être pris par les agents des eaux et forêts qui nous mènent la vie dure avec leurs lourdes amandes », fait savoir notre interlocuteur. Il se dit conscient d’exercer dans l’illégalité, mais réfute la responsabilité de la destruction du couvert forestier.

« Ici par exemple, nous avons trouvé ce framiré qui est tombé seul. Après que nous nous sommes entendus avec le propriétaire du champ, nous procédons au sciage de façon artisanale avec la tronçonneuse. Nous transportons les planches sur nos têtes sans endommager un seul plant de caféier ou un jeune arbre. Cela pour vous dire que nous ne sommes pas ceux qui détruisent la forêt parce que nous connaissons les bois qui sont arrivés à maturité. Sauf que notre activité n’est pas régulée », se défend K E. Il est l’un de ceux qui pensent que si l’Etat ne peut pas les empêcher définitivement, qu’il crée un cadre juridique formel pour leur permettre d’exercer de façon légale.

« En réalité, les scieurs clandestins sont de plus en plus nombreux dans nos forêts. Ils sont combattus par les eaux et forêts, mais malgré cela, leur nombre ne cesse de croitre. Nous pensons que le mieux c’est de faire en sorte que cette activité soit régulée comme c’est le cas au ministère des mines avec les mineurs artisanaux, afin que cette activité qui nourrit ses acteurs puisse contribuer aussi à l’économie nationale dans un premier temps et par la même occasion réguler l’activité de sorte à protéger au maximum l’écosystème et la biodiversité », préconise Ouédraogo Abdoulaye.

Ces essences interdites à la coupe

Un avis que partage Diomandé Narcisse, exploitant forestier à la retraite. Pour lui, la victoire sur les scieurs clandestins ou scieurs à façon passe par la création d’un cadre juridique qui va leur imposer des taxes et des autorisations préalables. « Non seulement, cela va réduire leur nombre, parce que ceux qui seront en règle pourront empêcher ou dénoncer les clandestins, mais ils pourront eux aussi participer à l’essor économique du pays », justifie-t-il.

Mais en attendant, ces scieurs clandestins sont traqués par les agents des eaux et forêts. Ce sont des dizaines d’entre eux qui sont souvent interpellés par les agents des eaux et forêts. Pour la plupart des cas, leurs tronçonneuses et leurs bois sont saisis. Et ils paient de lourdes amendes pour éviter d’aller en prison. « Très souvent ce sont ceux qui sont pris dans les forêts classées qui font l’objet de verbalisation et de poursuites judiciaires », fait savoir KE.

En Côte d’Ivoire et plus particulièrement dans l’ouest ivoirien, il y a des essences qui sont interdites à la coupe. Une décision prise par le gouvernement pour permettre la régénération de ces espèces. « A l’ouest, ici le Bahia n’est plus exploitable. Il n’existe plus dans la charte des exploitants. Il est formellement interdit de l’exploiter. Les agents des eaux et forêts sont constamment dans les scieries pour vérifier si ces bois sont coupés. En plus il y a le Lingué au-dessus du 8ème parallèle qui est interdit à la coupe tout comme les autres essences qui y sont. Comme essence protégée il y a aussi le makoré, le Sequoia, l’Etimoué qui sont devenus très rares et sont interdits à la coupe. Tout exploitant qui viole ces mesures s’expose à de lourdes amendes et même à des peines d’emprisonnement ferme », a relevé le chef de chantier Abdoulaye Ouédraogo.

Dans la région du Tonkpi, selon le Directeur régional du travail, Adou Assi, le secteur du bois est le principal pourvoyeur d’emploi après la mine d’or d’Ity qui emploie plus de 2000 personnes. « Bien que le secteur bois soit menacé avec les nombreuses tracasseries des forces de l’ordre, l’industrie du bois offre plus de 1000 emplois directs avec autant d’emplois dans des secteurs comme la menuiserie, la vente du charbon, la vente du bois et autres », témoigne le patron de l’inspection du travail à Man.

Le prélèvement du bois de chauffe constitue aussi un secteur lucratif. Cette activité autorisée nourrit son homme. « Quand on entre en brousse à vélo, nous pouvons par jour obtenir 5 à 10 tas de bois que nous vendons à 500 francs le tas. Et notre recette journalière varie entre 3500 et 5000 francs quand ça marche bien. En cette période par exemple, nous pouvons entrer en brousse avec un tricycle pour acheter du bois pour 5000 francs que nous revendons à 12000 francs sur le marché », se réjouit Fabrice Veh Tia, vendeur de bois de chauffe.

En forêt classée, dans le cadre du droit d’usage, les populations riveraines peuvent aller prélever le bois sec pour en faire des bois de chauffe. « Trop de bois sec dans une forêt classée constitue des risques et surtout des facteurs aggravant en cas de feu de brousse. C’est pourquoi son prélèvement contribue à la sauvegarde de la forêt et de la biodiversité en général. Cela prévient ou réduit également la propagation du feu en cas d’incendie dans la forêt », fait savoir le lieutenant Soro Karnan Bakary, ingénieur des techniques des eaux et forêts.

Ce reportage a été réalisé avec l’appui de Eburnie Today et l’ONG IDEF dans le cadre du projet “Building the biodiversity media champion network in Côte d’Ivoire” exécuté par Earth Journalism Network et Internews Europe.

Kindo Ousseny

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