Reportage/ Ranch de la Marahoué : Gloire et décadence d’un joyau !

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Bâti sur une superficie de 100 000 ha, le ranch de la Marahoue, sis dans la région du Worodougou, avait pour vocation d’assurer l’autosuffisance de la Côte d’Ivoire en protéines animales. C’est pourquoi dans sa conception, rien n’a été négligé. Depuis les champs de Panicum (plantes fourragères ) jusqu’à l’abattoir en passant par les usines de fabrication d’aliments (pierres à lécher) et le centre de formation, tout avait été pensé dans les moindres détails. Près de 50 ans après sa création en 1975, nous avons visité ce patrimoine de l’état, samedi 9 Mars 2024. Enfin ce qui reste encore des ruines de cet ex joyau.

Élève, nous avons étudié dans nos cours de Géographie le Ranch de la Marahoue. En cette première semaine du mois de Mars 2024, nous sommes à Séguéla pour un reportage dans le cadre de la commémoration des 3 ans du décès du premier ministre Hamed Bakayoko. Et lorsque notre binôme de reportage qui est fils de la région du Worodougou qui abrite ce patrimoine, nous suggère de visiter le Ranch de la Marahoué qui, selon ses dires, se meurt, nous sommes excités à l’idée de le découvrir (enfin). Aussitôt, nous décidons de prendre les contacts nécessaires pour nous y rendre. Notre bonne étoile met sur notre chemin un “enfant” du Ranch qui nous fournit tous les contacts nécessaires. Il se nomme Binaté Abou. Son père a travaillé en qualité de chauffeur du premier responsable du Ranch, un Belge. Ses frères y travaillent encore et vivent sur place comme d’ailleurs la plupart des employés qui sont logés dans des logements de fonction. Mieux, il se propose de nous y conduire et de servir de guide. Grâce aux contacts fournis rendez-vous est pris pour une visite samedi 9 mars.

Le jour j, nous quittons Seguéla à bord d’un véhicule de location. Nous sommes quatre. À savoir, le chauffeur, notre guide, mon binôme et moi. Il est 9h 05. Chemin faisant, Binaté Abou, notre guide, nous propose de passer par Silakoro.” Normalement, c’est par Mankono qui est la route principale qu’on devrait passer. Mais elle est plus longue et dégradée. Alors que par Silakoro, c’est plus court et plus praticable”, suggère-t-il. Après avoir rouler quelques kilomètres, nous laissons le bitume à partir de la localité de Silakoro pour emprunter une route escarpée. Au fil des minutes, nous nous enfonçons dans la brousse. Sur le parcours, des champs d’anacardiers alternent avec une forêt clairsemée. Au fur et à mesure que nous pénétrons dans cette végétation de savane arborée, les souvenirs commencent à envahir la tête de notre guide. ” Ici (le Ranch), c’était un paradis. Élève, quand les vacances arrivaient, on ne voulait même pas rester une journée de plus à Seguéla. On appelait pour que le camion du Ranch vienne nous chercher pour venir passer les vacances”, se remémore -t-il. Autre souvenir d’enfance évoqué, ce sont les parties des pêches qu’il pratiquait étant tout petit.” Lorsqu’on était enfant, on allait pêcher dans les barrages qui sont des retenues d’eau. On prenait de gros poissons à l’époque dans les eaux”, raconte -il. Ces barrages ou retenues d’eau, on en trouve 45, selon lui. Ce qui laisse sous entendre qu’en plus de l’élevage, le Ranch pourrait servir à la pratique de la pisciculture. Ainsi d’évocation de souvenir en souvenir, ce qui rend le voyage moins pesant avec l’état difficutueux de la route, nous arrivons à la barrière où veille un gardien qui s’empresse de venir vers nous. Il est en ce moment 10h 44 minutes exactement. Au gardien, nous expliquons la raison de notre présence. Il nous enregistre puis soulève la barrière et nous voici à l’intérieur du Ranch. Nous avons encore quelques kilomètres à parcourir avant notre destination finale. Chemin faisant, nous traversons quelques campements composés de maisons en dur qui sont des logements de fonction dans lesquels logent les bouviers. Au détour d’un chemin, nous croisons également des bouviers étrangers précédés par leurs bêtes de races sahéliennes.

Il est exactement 12h 05 minutes lorsque notre véhicule se stabilise devant l’administration du Ranch. C’est un grand bâtiment aux murs défraîchis. En face, un mât sur lequel flotte le drapeau tricolore. La première image qui frappe est celle d’une ville fantôme. Plusieurs bâtiments aux fenêtres et portes closes, d’autres en ruines, presque la totalité des engins roulants et agricoles sont sur cale. Avant de connaître une telle déchéance, il faut savoir que le Ranch a connu une période faste.” Le Ranch était financé par le Fonds européen de développement ( FED) et dirigé par des Belges. C’est à partir de 1990 que les cadres ivoiriens vont prendre la relève”, situe Diby Appolinaire, directeur des ressources humaines. Selon lui, plus de 200 personnes travaillaient en ce temps au Ranch. Le nombre de têtes de bétail était estimé, avant les années 2000, à 22000. Et le Ranch disposait de moyens conséquents pour fonctionner. Le parc auto était assez fourni, selon Traoré Ahmed, responsable du parc auto. Il comprenait, selon lui, une vingtaine de véhicules, 8 tracteurs, 5 motos y compris d’autres engins agricoles et de reprofilage de routes. À en croire Traoré Ahmed, le rôle assigné au Ranch de la Marahoue était d’assurer l’autosuffisance alimentaire en protéines animales, fournir des bêtes de traction aux paysans et de vulgariser l’élevage auprès de la population ivoirienne.” La spécialité du Ranch c’est la race N’daman. À l’époque lorsque nous installions les éleveurs, c’est nous qui faisions le suivi. La souche du cheptel de nombreux cadres est partie d’ici.

Un taurillon coûtait 105 000 FCFA y compris les vaches de réformes pour l’agriculture. Les génisses étaient cédées à 60 000 FCFA “, fait -il savoir. Le centre de formation, rappelle le directeur des ressources humaines, a quant à lui servi à former de nombreuses promotions d’éleveurs.” La formation alliait théorie et pratique. Plus de 20 promotions de techniciens en élevage ont été formés au sein du Ranch. Les gens venaient de la sous région et même d’Europe pour se former”, explique -t-il. Par promotion, le centre accueillait une quarantaine de pensionnaires qui étaient totalement pris en charge sur place.

Le Ranch agressé de toute part

À une certaine époque, vivre sur place, était vraiment agréable, selon les dires des travailleurs.” Le logement, l’eau, l’électricité tout était gratuit. Le groupe électrogène alimentait le château d’eau et fournissait l’électricité dans nos maisons”, confie Tiehi Adrien, délégué. Abondant dans le même sens, Binaté Zoumana, fait savoir à son tour, que le Ranch comprenait toutes les infrastructures modernes qu’une ville pouvait abriter.” Il y’avait un foyer, un terrain de foot, un motel, une piscine et même un héliport “, précise -t-il. Traoré Ahmed ajoute qu’il existait une radio pour communiquer avec les différentes barrières qui constituent les différentes entrées du Ranch.” Lorsqu’un travailleur recevait une visite depuis l’une des barrières il pouvait communiquer avec le visiteur en question pour savoir s’il le connaissait. Et on le laissait passer ou non”, appuie-t-il. Compte tenu des difficultés et au regard de la rareté des ressources seulement l’administration et le château d’eau sont alimentés par le groupe électrogène pour pouvoir fournir de l’eau potable aux habitants. Les logements quant à eux sont désormais privés de courant. ” Le groupe électrogène qui consomme 20 l de gasoil par jour”, fait savoir le directeur des ressources humaines. Face à la rareté des ressources, ils ont dû faire un choix, selon lui.” On peut se passer du courant mais pas l’eau”, justifie Diby Appolinaire. Pour caricaturer l’absence de courant, Traoré Ahmed n’hésite pas à comparer le Ranch aux “ténèbres ” à la nuit tombée.

Le Ranch, il faut le dire, n’est plus que l’ombre de lui-même aujourd’hui, fait savoir le directeur des ressources humaines. ” De 200 travailleurs, on est passé à 70; toutes les machines sont à l’arrêt et il ne reste plus qu’un véhicule 4*4 qui sert à la fois d’ambulance, de corbillard, de transport du bétail et pour les courses”, rapporte-t-il. La baisse drastique du personnel s’explique par le fait que plusieurs travailleurs ont fait valoir leurs droits à la retraite, d’autres sont décédés et aussi du fait que il n’y a plus de recrutement depuis belle lurette, note Diby Appolinaire. D’où un vieillissement du personnel. Par ailleurs, confrontés à des ruptures incessantes de produits, c’est difficilement que les travailleurs prennent soin des animaux qui aujourd’hui avoisinent le millier.” Nous sommes constamment en rupture de stock. On dépose les bons sans qu’il y’ait parfois des suites à nos demandes “, déplore Diby Appolinaire.

Ces difficultés ne s’arrêtent pas là. Le Ranch est confronté également à des agressions et des infiltrations de la part des riverains qui font des champs à l’intérieur, des orpailleurs clandestins et des éleveurs transhumants. Cela du fait de l’absence de clôture. Selon Tiehi Adrien les 100 000 ha de superficie étaient autrefois entièrement clôturés. Ce qui n’est plus le cas. Pour Diby Appolinaire toutes ces activités illégales sont nocives pour la santé des bêtes. Notamment les boeufs étrangers qui pénètrent dans le Ranch et peuvent être à la base d’épidémies pouvant décimer le cheptel. La descente aux enfers du Ranch, situe Traoré Ahmed, est due en grande partie aux différentes crises politico- militaires au cours desquelles plusieurs bêtes ont été emportées. Malgré toutes ces crises qui se sont succédé de 2002 à 2010, les travailleurs sont restés sur place. ” Nous n’avons pas bougé”, soutient Traoré Ahmed. Au jour d’aujourd’hui, c’est sur la base de projets que le Ranch fonctionne. La conséquence de cette situation, ce sont des arriérés de paiements de salaires qui sont occasionnés par une telle situation. En ce sens que lorsqu’on passe d’un projet à l’autre, cela nécessite une actualisation des dossiers. Ce qui occasionne des retards.” Pendant presque toute l’année 2023, nous n’avons pas perçu notre salaire. Et quand ça été payé, nous n’avions plus rien. Parce que’il l a servi à payer nos dettes. Cette année 2024 encore, nous accusons deux mois de salaire”, soutient Tiehi Adrien. Qui plaide pour la régularité du paiement de leurs salaires. Afin de pouvoir faire face aux charges de leurs familles respectives.

Touré Ibrahima

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