Reportage à Sipilou / Après la bavure policière : Les populations partagées entre colère et pardon

Temps de lecture : 7 minutes

Sipilou le mercredi 15 mai 2019, la ville n’a pas encore retrouvé son animation habituelle.  A l’arrivée de notre équipe de reportage, des éléments de l’escadron mobile de Danané et de Daloa venus en renfort sont postés à préfecture située à l’entrée de la ville en face du centre de santé urbain. Les policiers et leurs renforts quant à eux sont stationnés à Sema, les Faci à leur base.

Nous marquons une halte pour rendre les civilités au préfet. Absent de la ville c’est son chef de cabinet qui nous reçoit le secrétaire général étant occupé. Après les civilisés d’usage, il nous assure que pour le moment la ville est calme et que nous pouvons aller faire notre travail. Nous ressortons donc.

Dans le grand salon de la préfecture qui fait office de salle de réunion sont installés des chefs de communauté convoqués d’urgence par le secrétaire général de préfecture, Kra Sialou à l’initiative du préfet pour une réunion de sortie de crise.

A notre sortie du bâtiment, nous croisons le premier adjoint au maire de la ville et maire résident Koné Saogbeu. Il accepte de se prêter à nos questions. Il nous fait le point de la situation dans sa ville. « Hier, j’étais chez moi lors qu‘on m’a appelé pour me dire qu’il y a une situation scandaleuse à Sipilou. Je me suis rendu sur les lieux. J’ai trouvé que le poste de police était déjà en feu. Je suis resté sur place, une deuxième vague est venue. Le bureau du lieutenant Fofana qui n’était pas encore touchée a été défoncé par  ces jeunes qui y ont mis le feu. J’étais scandalisé et je ne savais pas à quel saint me vouer », déplore l’élu local. Il a rappelé selon lui que c’est un policier qui a tué un jeune conducteur de taxi moto entre le poste de police et le village Guinéen de Bita. Pendant que Koné Saogbeu s’entretenait avec nous, il nous montre une  fumée épaisse  noire qui montait au niveau du centre-ville. « Vous voyez la fumée qui monte-là, ce sont les jeunes qui font ça », fait-il observer. Nous lui demandons si nous pouvons nous rendre sur place. « Il n’y a rien de particulier, pas de danger en tant que tel, vous pouvez y aller ».  Dans notre progression, nous croisons la voiture du chef de canton de Sipilou Diomandé Aubin à qui nous avons fait signe mais qui ne s’en est pas rendu compte. Nous poursuivons notre chemin.

Journalistes agressés

Arrivé sur les lieux, nous trouvons un barrage dressé au bout duquel des pneus enflammés. Le commerce est fermé. Toutes les boutiques et magasins ont clos leurs portes. Quatre jeunes était à notre niveau. Au près d’eux un commerçant peuhl, Tiérno, est son prénom. Nous demandons à rencontrer le président des jeunes ou son adjoint. Nos interlocuteurs nous disent que le président n’est pas là. Mais qu’il fallait contourner les flammes pour aller de l’autre côté. Nous  leur demandons l’autorisation pour prendre la photo des flammes. C’est là qu’une horde de jeunes s’est déchainée sur nous pour nous demander pourquoi nous les filmons. Le temps pour nous de leur dire « que nous sommes de la presse, nous sommes des journalistes », ils ont commencé par nous rouer de coups. C’est ainsi que nous avons été agressé.

 Les excuses de la jeunesse au Journalistes

Nous sommes conduits à l’abri dans la maison du commerçant Tierno. Quelques minutes après le vice-président de la jeunesse et d’autres jeunes accompagnés de notre « sauveur » nous ont rejoints pour nous présenter leurs excuses. Ce que nous avons accepté en admettant que ce sont les risques du métier.

 Après, près d’une heure passée chez le boutiquier, nous sommes conduits dans un hôtel de la place. C’est là qu’ils sont venus nous restituer notre téléphone portable avec l’écran cassé. La moto endommagée sans les clés de  contact. D’après eux le casque brisé a été jeté dans le feu.

Une rencontre de vérité

Un quart d’heure plus tard, le chef de canton Diomandé Aubin est venu nous chercher pour nous conduire à la préfecture où nous avons pu suivre la réunion de crise qui s’est avérée être une rencontre de vérité. Toutes les forces vives de la ville étaient représentées. Les chefs coutumiers, les guides religieux, les chefs de communauté, les chefs des forces de gendarmeries, forces armées de Côte d’Ivoire, eaux et forêts et Douane. Le préfet de police de Man est arrivé sur les lieux un peu plus tard pour prendre le train en marche. Le représentant du préfet en rappelant les faits, a indiqué qu’il y a eu un incident déplorable où un agent de la police des frontières, le sergent Koné Lanciné a interpelé un conducteur de moto taxi après le corridor Frontalier de Sipilou 2 appelé communément corridor Dirita. Il lui a demandé les pièces de la moto, chose que le motard n’a pas. Néanmoins, ce dernier a expliqué au policier qui lui demandait de payer la somme de 1000 francs qu’il a déjà payé au corridor et qu’il pouvait aller vérifier avec lui auprès de ses frères d’arme.

 Le policier n’a pas voulu entendre raison. Traoré Alpha pour montrer sa bonne a même voulu mettre en hypothèque son téléphone portable avec l’agent. Une fois de retour de la guinée il allait lui remettre les mille francs avant de récupérer son téléphone parce qu’il n’avait un sou sur lui. Des propos corroborés par le président des jeunes de Sipilou, l’un des premiers à arriver sur les lieux de l’incident.

 Je jeune homme qui transportait une dame fait demi-tour et le policier ouvre le feu sur la roue arrière. Traoré Alpha tente de poursuivre son chemin vers le corridor c’est là que le policier tire sur lui une fois de plus dans le dos. La dame qu’il accompagnait a donc pris la fuite pour aller appeler au secours. Des jeunes sont arrivés et ils ont convoyé le blessé au centre de santé urbain de Sipilou pour les premiers soins. Vue la gravité de la situation, le secrétaire général de la préfecture  sur ordre du préfet fait déployer des éléments des Faci pour protéger le bâtiment livré il y a seulement un mois et demi de la police des frontières.  Mais la foule en colère qui est arrivée sur place n’a pu être contrôlée.

Les éléments des Faci ont seulement pu mettre les policiers en sécurité parce que les jeunes voulaient en découdre avec eux. Les jeunes révoltés s’en prennent au bâtiment qui est pillé de fond en comble avant d’être incendié. Le groupe électrogène qui alimente le bâtiment n’a pas été épargné.

La situation de Traoré Apha étant jugé critique, il a été recommandé de le conduire au Chr de Man. C’est en chemin qu’il a rendu l’âme et le corps a été convoyé à la morgue.

Les autorités condamnent et demandent pardon

 Face à cette situation gravissime, le secrétaire général de préfecture a condamné les faits qui selon lui ne resteront pas impunis. Pour lui le bilan est lourd, un mort avec de nombreux dégâts matériels c’est trop, c’est exagéré. Surtout que tous les postes frontaliers ont été détruits et incendiés. « Le policier a commis une faute grave et il subira la rigueur de la loi. Parce que quand on analyse les faits, il n’y a aucune raison de faire usage de son arme. Du côté des jeunes, il faut dire qu’ils ont mal agit en voulant se rendre justice. Tous les biens qui ont été détruits appartiennent à Sipilou et c’est déplorable », a-t-il fait remarqué. L’administrateur a par la suite, présenté ses condoléances à la familles éplorée avant de demander pardon à la familles, aux communautés et aux jeunes pour ce grave incident qui a conduit à la mort d’un fils de terroir, au nom du préfet du département et au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire.

La parole a été ensuite donnée aux communautés notamment les chefs coutumiers, les guides religieux et les jeunes. Tous se sont dits peinés et outrés par cette situation parce que selon eux ce n’est pas la première fois que le département de Sipilou enregistre ce genre de bavure. La première fois, il y a environ 10 ans c’est un agent de la police forestière qui a ouvert le feu tuant un paysan à Gaba dans la-sous-prefecture de Sipilou. « Ce qui s’est passé est inacceptable et il faut trouver une solution définitive », ont-ils dit. L’Imam Siaka, porte-parole de la communauté musulmane de Sipilou et de la famille éplorée a réclamé le corps de son fils tout en admettant qu’avec ou sans ce coup de feu, Traoré Alpha allait mourir. Pour ce fait il accepte le pardon du préfet.

La suppression de certains barrages exigée

 Quant aux jeunes, par la voix de leur président, Diomandé Kefa Louty ont exprimé leur colères avant d’exiger la suppression du barrage routier de Sema qui selon eux n’a pas sa raison d’être. La suppression des barrages dressés dans tous les villages qui ne sont pas à la frontière et le déplacement du corridor de Koulalé situé en plein centre du village à Kpeaba qui est le denier village ivoirien à 13 kilomètres de la Guinée. Sur insistance du secrétaire général de préfecture, du chef de Canton Diomandé Aubin et des guides religieux, les jeunes ont finalement levé leurs préalables et ont accepté le pardon. Mais ils font de la suppression du barrage de Sema une exigence non négociable avant l’arrivée du corps de Alpha à Sipilou. Tous les intervenants y compris Edouard Beko le chef du village, la présidente des femmes du département ont tous dénoncé les abus et le racket excessif des agents nouvellement déployés de la police des frontières à Sipilou. Ils ont invité la hiérarchie à leur parler, et surtout à revoir le comportement de ces agents qui selon eux n’ont aucun respect pour la population et même les chefs coutumiers, qui subissent de graves

Le préfet de police de Man, le commissaire divisionnaire Ouattara Ibrahima  qui est arrivé à la mi-journée a demandé pardon à la population pour ce qu’elle a subit. « Je voudrais sincèrement demander pardon à la population. Parce que les jeunes gens qui ont été déployés ici sont sous ma coupole. Ils viennent certes d’Abidjan mais je suis leur responsable. Tu peux mettre un enfant au monde mais tu ne peux pas contrôler tout son comportement. C’est pourquoi, à la suite du préfet  je vous demande de nous pardonner, et surtout d’accepter nos excuses », a plaidé l’officier supérieur de police.

 Tous les intervenants malgré leur colère sont unanimes sur la nécessité de préserver la cohésion et la paix sociale à Sipilou. C’est pourquoi la présidente des femmes du département après avoir crié son ras-le bol a exhorté les jeunes à abandonner la violence et permettre que leur frère soit enterré dignement et surtout à favoriser la reprise des activités des forces de l’ordre. C’est ainsi que le président des jeunes a repris la parole pour dire que ce n’est pas parce qu’un policier a tué une jeune qu’il faut tuer un policier. Il se dit favorable à la normalisation de la situation et près à accompagner le processus pour le mieux-être de la population.

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