Sipilou, chef-lieu de département dans la région du Tonkpi, malgré sa situation de circonscription enclavée du fait du mauvais état de ses voies d’accès, est en voie de devenir le grenier de l’ouest montagneux. Cette embellie agricole que connaît le département est emmenée par des femmes et des hommes regroupés au sein d’une coopérative agricole dénommée Kouakoungbé en langue dan qui signifie « tenons bon ». Notre rédaction est allée à la découverte de cette coopérative conduite par des femmes dynamiques qui rivalisent d’ardeur avec les hommes.
Pour se rendre à Sipilou, nous avons parcouru 75 kilomètres de piste parsemée de crevasses et de patinages par endroits, à partir de Biankouma qui elle est située à 45 kilomètres de Man. La saison pluvieuse rend difficile la circulation à l’image d’un véritable parcours du combattant. Après près de 4 heures et demie de route à partir de Man, nous retrouvons un groupe de plus d’une centaine de personnes avec une prédominance remarquable de femmes. Elles s’activent à la récolte du riz dans des grands bas- fonds aménagés, fredonnant des chants du terroir.
Le leader du groupe se nomme Lohi Sadia. C’est une dame de forme imposante, mesurant environ 1,70 mètre et la cinquantaine révolue. Tenant un couteau et une touffe de riz en main, elle vient à notre rencontre. « Je suis Lohi Sadia, présidente de la coopérative agricole Kouakoungbé. Nous avons créé cette coopérative au lendemain de la crise postélectorale, précisément en 2013 pour aider nos sœurs. Au départ nous étions 15 membres et nous travaillions ensemble. Nous travaillions pour subvenir à nos besoins. Aujourd’hui, cette petite association a pris de l’ampleur, et nous sommes présents dans 15 localités du département de Sipilou avec 710 membres dont 506 femmes et 204 hommes », s’est-elle présentée avec sa coopérative. Pendant que la présidente s’adresse à notre équipe, les autres membres plutôt que d’interrompre le travail redoublent d’ardeur dans la récolte. Cela en se motivant mutuellement par des chants. Une manière de nous faire savoir que l’heure n’est pas à la distraction.
La présidente affirme que sa coopérative est engagée dans le vivrier de façon générale avec une forte prédominance dans la production rizicole.« Notre culture de base c’est le riz de bas-fonds, nous travaillons avec nos mains. Nous avons commencé avec 3 hectares, ensuite 6 hectares, et avec l’arrivée du projet PROPACOM Ouest (Projet d’appui à la production agricole et à la commercialisation, extension ouest), notre coopérative a été retenue et le projet a aménagé 71 hectares de bas-fonds pour nous. Et nous travaillons sur cette parcelle chaque année. En plus du riz, nous produisons aussi le manioc, le maraîcher, la banane. Nous sommes présents dans plusieurs autres villages où nous produisons le haricot, la banane plantain et le maïs », a-t-elle énuméré.
« Nous avons un stock cumulé de plus de 150 tonnes de maïs non encore écoulés dans les différentes sections de la coopérative », a-t-elle révélée.
Tous ces résultats ont été obtenus avec des moyens rudimentaires. « Ici tout se fait à la main, avec des machettes et des dabas. Nous avons 33 hectares en production. Sur une autre parcelle nous avons 38 hectares qui seront aussi en production dans peu de temps », fait remarquer dame Lohi Sadia.
Malgré les moyens rudimentaires de production, la coopérative récolte sur la parcelle de Séma entre 71 et 80 tonnes de riz par an, aux dires de la présidente.
Les produits chimiques proscrits
« Ici à Séma, dans la commune de Sipilou, nous avons des terres très riches au point où nous n’utilisons pas de produits chimiques. Si nous devons utiliser de l’engrais par exemple, ce serait de l’engrais bio. Nos parents ont une bonne espérance de vie car ils tombent moins malades et cela s’explique par le fait que nous consommons bio. Nos riz sont purement bio, nous sommes une coopérative mixte avec une majorité de femmes, nous sommes tous en bonne santé, même les personnes âgées parce que nous consommons bio», a-t-elle souligné.
Des propos soutenus par des membres de la coopérative qui affirment que l’usage des produits chimiques pour lutter contre les mauvaises herbes n’est pas à l’ordre du jour dans le cadre des activités de cette coopérative. « Ici, nos encadreurs techniques nous déconseillent l’usage des herbicides dans les champs. Ces produits sont pour la plupart des poisons qui peuvent être nocifs pour la santé et même pour la vie », soutient Bayo Yomi, président des jeunes de Séma, et membre de la coopérative Kouakoungbé.
Cette coopérative ravitaille les marchés de la région en priorité. Mais les marchés de la sous-région bénéficient également des fruits des labeurs de ses membres. « A l’heure où je vous parle, il y a des ressortissants de la Guinée voisine et du Mali qui sont en train d’attendre nos récoltes pour des achats. En plus des deux pays, notre riz et nos bananes sont aussi exportés vers le Burkina Faso et si notre production s’accroît davantage nous comptons servir le marché de Niamey au Niger », a-t-elle relevé.
Cependant il se pose un réel souci d’écoulement des produits. Faute de route praticable. « Outre l’absence d’outils moderne, il y a le manque d’engins pour évacuer la production, l’état piteux de l’axe Biankouma Sipilou, longue de 75 kilomètres, se parcourt en 3heures 30 mn voire 4 heure en saison sèche et en 2 jours en saison pluvieuse. La circulation se fait la plupart du temps à moto. Et cela est marqué par de nombreuses chutes qui varient entre 5 et 10 fois par trajet en saison pluvieuse. Difficile d’avoir accès à nos sections dans les villages environnants », déplore-t-elle. Une situation qui rend le coût du transport très élevé. « Les transporteurs nous exigent parfois entre 150 et 200 milles le transport de la tonne de riz. Des coûts exorbitants au-dessus de nos moyens et c’est d’ailleurs ce qui concourt à la vie chère. Ici au bord champs nous vendons le riz et la banane, même le maïs et le haricot à des prix très abordables. C’est une fois arrivé à Man ou sur les autres marchés que les prix flambent. Et je pense que l’état de la route y est pour quelque chose », explique Lohi Sadia.
Le ministre Kobénan Kouassi Adjoumani et le gouvernement interpellés
« Sipilou c’est aussi la Côte d’Ivoire, et Sipilou constitue aujourd’hui un important grenier pour notre pays. Nous suivons l’actualité ou le ministre fait des dons de machines agricoles dans le nord du pays, à l’est, au sud et même tout près de nous à Touba, nous l’implorons de penser à nous. Ici à Sipilpou nous avons de braves femmes et d’hommes courageux qui travaillent la terre, qui cultivent, mais avec des moyens archaïques. Que le gouvernement ait un regard sur nous. Un coup de pousse de la part de notre ministre de tutelle, le ministre de l’agriculture et du développement durable Kobénan Kouassi Adjoumani pourra faire de Sipilou le principal grenier de la Côte d’Ivoire en matière de production de riz et de banane », a-t-elle lancé.
Revenant sur l’état de la route, Dame Lohi, a exhorté le gouvernement à faire diligence pour relancer les travaux de bitumage de l’axe Biankouma/ Sipilou lancés officiellement le samedi 06 juin 2020 par le ministre de l’équipement et de l’entretien routier Amedé Kouakou, en présence de plusieurs membres du gouvernement.
«Il y a plus d’un an de cela, les machines avaient commencé les travaux de terrassement. Ce qui nous a donné beaucoup d’espoir et en même temps un ouf de soulagement. Mais l’espoir a été de courte durée. Car des porte-chars sont venus et ont emporté les machines les unes après les autres sans aucune explication. Que l’Etat revoit cela parce que notre zone est beaucoup enclavée alors qu’elle dispose des meilleurs bras valides du pays qui ont besoin de s’exprimer à travers l’écoulement aisé de leurs productions. Nous les femmes de Sipilou, nous les parents de Sipilou, nous demandons pardon au président de la république Alassane Ouattara et à son gouvernement, de penser à nous. De faire ce qu’ils font ailleurs en matière de création et d’ouverture de routes ici, pour nous permettre de pouvoir circuler dans notre département », a-t-elle exhorté l’Etat.
Dame Lohi Sadia se dit engagée pour garantir l’autosuffisance alimentaire à la Côte d’Ivoire. Mais ce qu’elle attend du gouvernement c’est dans un premier temps l’ouverture des pistes villageoises et la mécanisation des travaux agricoles de sa coopérative.
Les membres de la coopérative Kouakoungbé ont une capacité de résilience exemplaire. Et cela s’explique par la cohésion qui prévaut au sein du groupe. « Notre force c’est d’abord notre nom Kouakoungbé, qui rime avec la résilience. Cela signifie “tenons bon”. C’est aussi la cohésion et l’entente entre les membres ainsi que l’espoir qui alimente notre courage et notre engagement à obtenir le meilleur résultat possible », a-t-elle affirmé.
A environ 800 mètres de la ferme rizicole de 71 hectares, se dresse un bâtiment imposant à l’entrée du village de Séma. Ce bâtiment abrite des équipements ultra modernes de transformation de riz. Une unité acquise grâce au projet PROPACOM.
Une usine d’une capacité de transformation de 1,5 tonnes/heure
Ces femmes et ces hommes laborieux ont su convaincre la coordination du Projet d’appui à la production agricole et à la commercialisation, extension ouest qui a mis à leur disposition des infrastructures de pointe. Il s’agit d’une unité de décorticage de riz, une bâche de séchage de 100 mètres carré, un magasin de stockage de 288 mètres carré.
« Au départ, notre production se vendait brute. Mais aujourd’hui, grâce au projet PROPACOM et à ses bailleurs nous disposons d’une usine de transformation du riz d’une capacité de transformation d’une tonne et demi par heure. Nous sommes désormais dans la production, la transformation, et la commercialisation. En plus, cette usine est une unité de transformation complète qui peut nous permettre de produire du riz à long grain, du riz avec brisure et du riz à 50% de brisure et même d’autre calibrage », a expliqué dame Lohi Sadia.
Le social au cœur de Kouakoungbé
La femme leader en engageant ses parents dans une coopérative agricole a inscrit en ordre de priorité le social. « Malgré les difficultés, nous accordons des prêts et des dons à nos membres pour la scolarisation de leurs enfants. Nous assistons nos parents démunis en vivres et non vivres. Parce que notre priorité c’est le bien-être de nos membres » a-t-elle renseigné notre équipe. Des propos soutenus par la notabilité du village. « Cette coopérative nous fait beaucoup de grâce depuis son arrivée dans notre village. Au niveau de l’établissement scolaire, la coopérative nous aide pour l’organisation des fêtes de fin d’année. Elle fournit les moyens aux enseignants afin que les élèves fassent une belle fête. Lorsqu’il y’a également des cérémonies dans le village, elle est présente pour apporter son soutien pour le bon déroulement des choses », a soutenu Kpan Maningan, notable à Sema. Pour Marie Diomandé, membre de la coopérative, cette nouvelle structure est arrivée à Séma comme une bouée de sauvetage. « Kouakoungbé a été créée non seulement pour nous mettre au travail, mais nous assister en cas d’évènements heureux ou malheureux. A chaque funérailles à Séma, plus besoin d’acheter du riz. La coopérative met à la disposition de la famille éplorée au moins deux sacs de riz, avec des dons en numéraire pour aider à supporter cette période difficile », soutient-elle.
Kouakoungbé, une coopérative de vivriers à Sipilou, est bien engagée dans la bataille pour la sécurité alimentaire. Malgré l’important appui de PROPACOM ouest, cette coopérative qui fait preuve de citoyenneté a besoin d’un coup de pouce pour booster ses activités.
Kindo Ousseny de retour de Sipilou.